Négociation et stratégie avec le jeu de Go et Sun Tzu – Eric Msellati

Bonjour à tous, je m’appelle Julien Pelabere et je suis négociateur professionnel. Mon métier est de former, accompagner et assister des entreprises et organisations à la conduite de leurs négociations les plus sensibles et les plus complexes. Bienvenue dans Pourparler, le podcast de la négociation. Notre ambition est simple : vous donner des clés pour mieux négocier, mieux négocier pour un meilleur futur professionnel et personnel. Aujourd’hui, j’ai la chance d’accueillir sur Pourparler Éric Msellati. Bonjour Éric !

Bonjour Julien !

Comment est-ce que tu vas ?

En pleine forme ! Dernier jour de l’année, tout va bien, je termine avec toi !

Pour ceux qui vont nous écouter un peu plus tardivement, on enregistre le 31 décembre et je te remercie d’avoir été disponible sur ce dernier jour. Est-ce que tu pourrais te présenter pour les personnes qui ne te connaissent Éric s’il te plait : toi, ton parcours, ton activité ?

Avec grand plaisir Julien et encore une fois, merci pour ton invitation. Je fais de la formation depuis maintenant 10 ans pile poil parce que VCA Conseil a été créé le 21 décembre 2011, donc ça fait 10 ans aujourd’hui. Auparavant, j’ai un parcours de manager dans la grande distribution où j’ai été successivement chef des ventes, puis directeur dans des grandes enseignes de distribution spécialisée et dans lesquelles j’ai été également vacataire formation interne sur les techniques de ventes notamment, puisque j’intégrais les cursus vente des nouveaux vendeurs et ensuite les parcours managériaux des chefs des ventes et des directeurs, et j’y suis resté 18 années.

Top ! Aujourd’hui, on va aborder un sujet qui est intéressant parce qu’il est généralement peu traité. Tu as une approche de la vente, du conseil qui est originale dans le sens noble du terme, puisque tu as été un stratège on peut le dire. Tu es un passionné de stratégie et du jeu de go, est-ce que tu peux nous expliquer rapidement ce qu’est le jeu de go ? Ça consiste en quoi ?

Le jeu de go est le plus ancien jeu de stratégie à schéma combinatoire abstrait, de même catégorie que les échecs auxquels nous sommes très souvent comparés. Le jeu de go est un jeu de stratégie. A la différence des échecs, et c’est important puisque j’ai les mêmes questions à chaque initiation et master class, l’objectif est différent, l’approche stratégique est différente, l’approche tactique est différente. Ça reste dans la même famille, mais il y a quand même quelques points fondamentaux qui font que les liens et les concepts du jeu de go sont facilement transposables au quotidien, sur de la négociation, sur du management également, puisque l’approche stratégique du jeu de go se compose d’un certain nombre de concepts duplicables au quotidien. La principale différence avec le jeu d’échecs Julien, c’est que l’objectif principal et même unique du jeu d’échecs est la mort du roi de l’autre. C’est-à-dire que c’est une approche stratégique basée sur le combat et uniquement le combat. Le gain se fait sur la mort de l’autre, avec des pièces qui ont une spécificité et un rôle à part entière aux échecs. On va trouver le soldat, le fou, le cavalier, la reine, etc. Au jeu de go, on part d’un plateau vide, le boban. Le terrain est vide, et l’objectif n’est pas de tuer l’autre, c’est une conséquence. Ça, c’est important ! L’objectif est de construire des territoires, d’encercler des zones vides en posant des pierres et les pierres n’ont pas une « valeur sociale » comme aux échecs.

Il n’y a pas de hiérarchie.

Il n’y a pas de hiérarchie et l’objectif n’est pas la mort de l’autre. Ça c’est important ! Je le résume très rapidement, c’est le jeu de coexistence, c’est-à-dire que j’existe parce que l’autre existe. Mon objectif est d’avoir un territoire et de contrôler plus de territoires que l’autre, et si c’est atteint, j’ai gagné. Mais on peut gagner une partie de go sans avoir tué l’autre, sans avoir fait de prisonniers. C’est le jeu de la coexistence, c’est-à-dire que mon existence est fondée sur la tienne, et en négociation, on y reviendra tout à l’heure puisque c’est l’une des thématiques, viser la mort de l’autre n’a aucun sens.

Oui, le but n’est pas de gagner contre, le but est de gagner dans l’absolu. C’est passionnant ce que tu viens de dire. Tu sais que je suis novice sur le jeu de go, ce que tu dis, c’est que tuer l’autre est une option disponible, mais ce n’est pas une fin en soi, il y a plein d’autres façons de faire.

Exactement. Ça n’est pas l’objectif, c’est la conséquence. Il y a des règles de capture bien évidemment, mais attention ! Encore une fois, je pèse mes mots. Il y a des règles de capture, c’est-à-dire que je vais capturer tes pierres si la situation le nécessite pour me défendre ou alors pour conquérir davantage, mais à la fin de la partie, ces pierres qui seront appelées prisonnières te seront rendues. Elles vont être rendues dans ton territoire et ça va t’enlever des points. C’est pour ça que la notion de mort est subjective puisqu’on va parler de prisonniers. Aux échecs, on va parler de mort. Quand je capture, je capture, je ne te le rends pas. Donc l’approche est totalement différente.

Il y a une fin de partie ? Comment est-ce que tu sais qui a gagné ou perdu ?

 Encore une fois, et c’est une distinction importante par rapport aux échecs qui ne sont pas concurrents du jeu de Go, même si j’ai un parti pris tu l’imagines, au jeu de go, la partie s’arrête d’une commun d’accord. C’est-à-dire que l’on va considérer, toi et moi, qu’il n’y a plus d’espace à conquérir. Tu ne peux plus conquérir du territoire et tu ne peux plus me mettre en danger dans le mien. Ce sera un commun accord et la partie s’arrête ainsi, lorsque nous avons tous les deux évalué l’impossibilité de construire du territoire.

Est-ce que ça peut être considéré comme un pacte par rapport aux échecs ?

Ça va être un pacte de reconnaissance mutuelle du gain ou de la perte. C’est-à-dire que lorsque je joue avec mon maitre de Go, à la fin de la partie, on en vient à se dire et c’est souvent ce qu’il me dit d’ailleurs : ça y est Éric, tu ne peux plus conquérir du territoire, je n’irai pas dans le tien, donc on arrête parce que tu as perdu ! C’est un commun accord. La partie s’arrête. Il y a un gagnant parce que ça reste un jeu et dans un jeu, personne ne joue pour perdre. Ce qui est intéressant, c’est qu’on est sur un commun accord, mais ça veut dire que j’ai gagné et que tu existes aussi. J’ai mon territoire et tu as ton territoire. Le mien est plus grand parce que c’est la règle du jeu, mais tu as quand même le tien. Et pour l’anecdote, si tu me l’autorises Julien, un jour, un journaliste a dit au PDG de Samsung : aujourd’hui, votre stratégie en téléphonie mobile est de prendre la place d’Apple avec l’IPhone, ce à quoi il a répondu : je ne veux pas la place d’Apple, je veux ma place, et si ma place est plus grande, tant mieux, mais je ne veux pas sa place, je veux ma place. C’est important ! En négociation, on resserre le lien, je ne veux pas votre place et ne prenez pas la mienne puisque l’intérêt d’une négociation, c’est d’avoir chacun sa place.

C’est génial ! En plus, ça veut dire qu’il n’y a pas de volonté de Samsung à ce moment-là d’annihiler Apple, parce que d’une certaine manière c’est le Némésis, avoir un concurrent méritant, c’est aussi ce qui va pousser Samsung à l’innovation, à se dépasser, donc le propos est très pertinent. Ce n’est pas une volonté de tuer Apple, c’est une volonté de faire mieux ou d’avoir son périmètre.

Exactement, et si mon périmètre est plus grand que le sien, alors j’ai gagné ! Encore une fois, on en revient à un principe très fort qui est l’occupation de l’espace, l’occupation du terrain, mais l’objectif n’est pas la mort d’Apple, c’est ça qui est important, on n’est pas dans une stratégie d’échecs ! Samsung ne veut pas la disparation d’Apple, il veut une place sur un marché et si sa place est plus grande, tant mieux !

Oui, et puis gagner ou perdre d’une certaine manière, on s’en fout ! A la différence du jeu de go, tu disais que dans le jeu de go, comme dans tous les jeux, il y a une date de début et une date de fin, dans la vie, pour ma perception de la négo, pour Samsung ou ce type d’entreprises, on est sur un infinite game, le but n’est pas de gagner ou de perdre, le but est d’être dans le game le plus longtemps possible.

Exactement

Passionnant ! C’est vraiment intéressant de voir ça comme ça. Juste pour que je comprenne, le jeu de go est un jeu chinois, quand on entend stratégie chinoise, on pense à Sun Tzu. Est-ce que le jeu de go est arrivé avant ou après Sun Tzu ? Est-ce qu’il y en a un qui s’est inspiré de l’autre ou inversement ? Comment tu vois ça ?

La chronologie fait que l’un était là avant l’autre. Le jeu de go a été découvert il y a environ 4000 ans, Sun Tzu a écrit L’art de la guerre au Ve siècle, donc il y en a un qui est arrivé un petit peu avant que l’autre. Sun Tzu s’inspire bien évidemment des concepts stratégiques du jeu de go. Il ne cite pas le jeu de Go directement, mais lorsqu’il évoque la fiabilité des communications, la sécurisation des troupes ou du placement, l’économie et l’efficacité, la réaction à des situations concrètes, conserver l’objectivité et surtout la maitrise des manœuvres, on pense au jeu de go. L’occupation du territoire, au jeu de go, c’est visuel. On voit très bien ce que ce que signifie faire de l’influence, diviser les alliances, s’attaquer aux projets de l’adversaire et non pas à l’adversaire. On est bien évidemment sur des concepts guerriers parce que Sun Tzu était un militaire, mais on ne peut pas s’empêcher de penser à des liens entre les stratégies guerrières et militaires qu’évoque Sun Tzu et les concepts du jeu de go.

D’accord. Toi, dans ton quotidien de conseil, est-ce que tu t’appuies sur cette partie stratégique du jeu de go ou sur les 13 chapitres de Sun Tzu ? Est-ce qu’on peut l’appliquer au management et à la vente, ou est-ce que tu es reparti sur une compréhension très différente ou des concepts différents ?  

Alors, moi j’applique les concepts du jeu de go, d’abord parce que j’y joue régulièrement. Ça a d’ailleurs été une révélation pour moi. J’aime à dire que je préfère les règles du jeu de go, qui sont plus simples que le jeu d’échecs à mon sens.  J’applique en faisant quoi Julien ? D’abord, le jeu de go n’est pas une boule de cristal. Ce n’est pas un jeu qui détermine un plan concret, fiable, viable et inéluctable. Il permet de visualiser la complexité d’une situation, de la rendre un peu plus concrète, plus visible. Donc comment je j’utilise et en quoi le jeu de go a modifié ma façon d’appréhender les choses ? C’est regarder un problème dans sa globalité, se le représenter dans sa globalité, et que ce soit en management ou dans la négociation de vente, même si aujourd’hui 99% de mon activité d’accompagnement se fait sur des coachings de managers, des coachings situationnels, des problématiques de conflit, des problématiques sociales, des problématiques de prise de poste, c’est intégrer systématiquement la vision la plus globale et la plus précise. C’est-à-dire que lorsqu’on prend contact avec moi pour une situation de management, j’analyse l’historique. Une situation est une conséquence. Une tension dans une négociation commerciale ne s’est pas déclenchée dans la nuit de lundi à mardi, il y a forcément eu quelque chose. Si je n’analyse pas ce qui a conduit à la situation présente, je vais avoir du mal à concevoir une stratégie à venir et le jeu de go enseigne le jalonnement, l’analyse, ce qui a fait qu’on est là où on en est. Au jeu de go, on peut perdre une partie à cause des 10 ou 15 premières pierres alors que l’on peut en poser plus d’une centaine ! Encore une fois, pour que tout le monde comprenne bien, on dispose de pierres et d’un territoire. C’est comme si toi et moi nous avions 180 parpaings et que l’on devait construire des maisons sur l’équivalence d’un terrain de foot. Une fois qu’on l’aura délimité avec nos parpaings, on verra d’abord les territoires, quels sont les tiens, quels sont les miens, et on verra la fiabilité, la solidité de ce que l’on a construit. Ça veut dire qu’une situation de management, de négociation, n’est pas le fruit du hasard, c’est la conséquence de quelque chose. J’explique toujours aux dirigeants que j’accompagne qu’il faut bien distinguer l’objectif et la conséquence des moyens. Un objectif doit donner une ligne, une stratégie, où je vais, mais le résultat est une conséquence. Dire en entreprise que l’année prochaine on va faire +30, ça ne fait pas faire +30. Il faut bien une ligne, il faut bien viser un objectif. Dans une négociation, il faut préparer des étapes, il faut savoir poser un objectif ambitieux, mais il faut aussi, et le jalonnement du jeu de go le permet, repérer ce qu’il va se passer pendant l’entretien parce qu’il va se passer des choses. Au jeu de go et j’imagine qu’un homme de négociation comme toi va faire le lien très rapidement, il y a un proverbe qui dit qu’il y a ce qu’on prévoit, ce qu’on ne prévoit pas et il y a ce qu’il se passe. Tu citais L’art de la guerre et Sun Tzu, ce qui est intéressant c’est qu’il y a aussi un proverbe de Sun Tzu très applicable au jeu de go et dans la négociation, qui dit que notre invincibilité dépend de nous, mais la vulnérabilité de l’ennemi dépend de lui. Ça veut dire qu’il y a ce que je peux, il y a ce que je prévois, il y a ce que je vais faire et il y a ce que lui va faire.

C’est intéressant, c’est-à-dire que tu es obligé de composer avec l’autre. Toutes choses égales par ailleurs, tu ne peux pas réfléchir que de ton côté.  

Exactement. C’est ce qui rend d’ailleurs le jeu de go particulièrement puissant parce que la prévision des coups de l’autre crée la légitimité de la pertinence du jeu. Il y a ce que je prévois, il y a ce que je vais faire et il y a sa réponse à lui. Je pensais que j’avais son accord, je ne l’ai pas. Je pensais que ma proposition était bonne, il va négocier le prix. Je pensais que ma proposition avait son aval, je découvre que ce n’était pas le principal interlocuteur et qu’il n’est pas décisionnaire. Et là, c’est également un principe du jeu de go, attention au mauvais discernement, à une mauvaise appréhension du rapport de position ou du rapport de force ! C’est-à-dire que je suis parti en me disant que l’interlocuteur était décisionnaire, je découvre à la fin de mon argument qu’il n’est pas décisionnaire.

Comment se concrétise ce rapport de force dans le jeu de Go et comment peut-on le transposer dans la vente, dans le management, dans le coaching ? C’est vraiment intéressant je trouve.

Encore une fois, le jeu de go développe cette approche. Est-ce que j’ai affaire à un rapport d’influence ? Est-ce que j’ai affaire à un rapport de force ou est-ce que j’ai affaire à un rapport de position ? Les 3 sont différents. Le rapport de force est un rapport de force. Il faut bien distinguer la menace du bras de fer. Faire de l’influence et être dans le rapport de force, ce n’est pas la même chose.

Comment ça se concrétise dans le jeu de go et comment tu le transposes dans la réalité ?

Dans le jeu de go, c’est le positionnement des pierres, d’une pierre adverse. C’est-à-dire qu’on est en début de partie, je pose mes premières pierres qui sont souvent sur des fuseki, c’est-à-dire qui sont souvent en ouverture de jeu, qui sont des coups classiques. Je peux poser une pierre sur une intersection, l’adversaire pose sa pierre à côté de la mienne. A côté de la mienne, ça veut dire qu’il me supprime une liberté et qu’il rentre tout de suite dans le combat, alors que ce sont les deux premières pierres. Le joueur qui ferait ça en début de partie démontre de manière très simple qu’il est débutant. Le rapport de force, ça va être la proximité, la confrontation immédiate.

La confrontation immédiate, OK.  

L’influence, c’est différent. C’est : je suis là. On n’est pas en bras de fer, mais je suis là.

Si je peux faire un parallèle, le rapport de force, tu as dit que ce serait une erreur de débutant dans le jeu de go, ça veut dire que dans une vente, dans du management, dans du coaching, ce serait d’une certaine manière cette volonté d’aller attaquer l’autre sans trop réfléchir, sans préparation, juste pour la confrontation, la joute verbale, ou pour montrer qu’on est le plus fort ou qu’on a raison, c’est bien ça ?

 Exactement. Comme on a au quotidien en négociation Julien. Le client est convaincu de l’offre, mais il va demander une remise parce qu’il veut jouer avec moi. Et on sait très bien que souvent, alors que le jalonnement de la vente est parfaitement adapté, qu’on est sur le bon budget, le bon produit, la bonne quantité, une demande de remise vient comme un cheveu sur la soupe ! Pourquoi fait-il ça alors qu’à aucun moment dans les échanges de la négociation, sur une vente, l’aspect budgétaire n’a été évoqué. L’interlocuteur est en confrontation, mais là évidemment, par une pirouette, une contre-objection, comme tu sais le faire également, on va essayer de le balayer en disant : excusez-moi, j’ai besoin de comprendre en quoi la demande de remise vient aujourd’hui en conséquence d’une négociation, d’une discussion qui semblait avoir le feu vert. Ça peut être de la confrontation. J’ai eu l’exemple il y a quelques semaines, on a négocié mes tarifs et j’ai bien senti que l’intention n’était pas saine, elle n’avait pas de sens en tout cas.

C’était vraiment rentrer dans cette joute verbale, dans une dynamique, une approche un peu cost killer, négocier le prix pour négocier le prix. 

Exactement. Alors le piège, mais c’est évidemment un piège pour l’interlocuteur, c’est de remettre en question un contenu qui répond à un besoin. C’est-à-dire que si lui s’obstine à négocier un prix pour obtenir un prix, il risque de fragiliser la qualité d’une prestation.

Exactement. Je fais un parallèle, dis-moi s’il est absurde ou pas. Tu me disais tout à l’heure que la fin de la partie, c’est quand je dis à l’autre qu’on arrête de jouer, c’est la fin et je n’irai pas sur ton territoire donc tu as perdu. Est-ce que dans ce cas-là, une stratégie que l’on va pouvoir utiliser est tout simplement de ne pas rentrer dans cette notion de marchandage ou de joute verbale et de dire : écoutez, par rapport à ce vous demandez, je ne pourrai pas le faire au prix demandé, que voulez-vous qu’on fasse, est-ce qu’on arrête là ?

Comme tu le sais, dans la négociation et surtout dans la vente, c’est au client de mettre le dernier frein. Effectivement, « est-ce que vous voulez qu’on en reste là ? », c’est à lui de prendre la décision, tout comme c’est à lui de prendre la décision de faire « la bonne affaire » dans le bon rapport qualité-prix de la prestation. C’est à lui de le faire. Mon maitre de Go dit : pas de solution est une solution. Il y a quelques semaines, à un client qui me disait « en fait, vous ne me proposez rien, quelle est la solution ? », il m’est arrivé de dire : il n’y en a pas. En fait, il y en a une, c’est qu’il n’y en a pas. Pas de solution est une solution.

Et comment tu fais pour sortir de ça alors ?  

Rappeler le besoin. Si aujourd’hui on est là, c’est qu’il y a un besoin ou une carence qui n’est pas compensée. Il y a quelques mois, j’ai eu un dirigeant qui m’a reçu et m’a dit : qu’est-ce qui vous fait dire que je ne suis pas satisfait de vos concurrents ? Je lui ai dit : ma présence. Si on est là, c’est qu’il y a une carence quelque part, c’est-à-dire qu’il y a un besoin qui n’est pas comblé, ou vous vouliez comparer, mais votre temps est précieux et le mien aussi, donc je ne vois pas trop l’intérêt, en plus, on aurait pu le faire en Teams. Donc, aujourd’hui est-ce que vous partagez avec moi l’idée que je peux répondre à un besoin et que ne pas trouver une solution, ça n’est pas le compenser alors que mon offre est pertinente, que ma valeur ajoutée est indiscutable, et vous en dressez le constat. Aujourd’hui, j’ai une expertise – je n’aime pas trop le mot – sur la dialectique syndicale et le management social, une expertise qui a des résultats, qui est jalonnée, prouvée, démontrée, appliquée, donc s’il y a un frein, il faut qu’on le lève ensemble

C’est vraiment intéressant. Sans vouloir simplifier ta pensée, est-ce que sur le jeu de go et la négociation, tu as 3 concepts qui sont transposables, une sorte de tool kit, de boite à outils que l’on pourrait avoir et qui serait transposable dans la vente, la négo ? Ce que le jeu de go t’a enseigné ? Le top 2 ou le top 3 des choses qu’il faut faire ou peut-être à l’inverse, le top 3 des choses que le jeu de go nous enseigne à ne surtout pas faire d’un point de vue stratégique ? Je te laisse y répondre de manière très pragmatique pour nos auditeurs. Quels enseignements peuvent-ils utiliser ou qu’est-ce que le jeu de go nous dit qu’il ne faut surtout pas faire dans cette relation humaine de négo, de vente ou de leadership s’il te plait ?

Alors le jeu de go nous enseigne à bien visualiser les points forts, points faibles, lignes fortes, lignes faibles. En fait, au jeu de go, sur un global, il y a 361 intersections qui sont délimitées par des lignes : 19 x 19. Lorsque l’on débute au jeu de go, on découvre et on enseigne qu’il existe des lignes fortes et des lignes faibles. Les deux premières lignes sont faibles parce que les possibilités de faire du territoire rapidement sont faibles et dangereuses. C’est intéressant parce que si je dois éviter de jouer sur les premières lignes – le jeu de go est aussi le jeu de la contrepartie comme l’art de la guerre – rien ne m’empêche d’amener l’adversaire sur ces lignes-là ! Si c’est dangereux pour moi, ça l’est pour lui. Donc l’enseignement du jeu de go, c’est déjà l’étude et l’analyse des lignes. Si les deux premières lignes, sur le bord, sont les plus risquées, les troisième et quatrième lignes sont les plus fortes. C’est pour ça que dans les ouvertures de jeu, les premières pierres sont souvent dans les coins, puisque c’est le meilleur coup à bénéfices multiples. C’est du territoire potentiel rapide, ce qu’on appelle sansan, l’intersection 3×3, ou le komoku, 3×4, qui est l’une de mes ouvertures favorites. Donc les lignes les plus fortes sont les lignes 3 et 4, surtout la troisième. Si je devais faire un lien avec la négociation, la vente ou l’appréhension d’une situation particulière qui peut être une situation de management, on pourrait dire que les coins, les premières lignes, les bords, peuvent constituer des fondamentaux, des bases solides, la dalle. Si on devait prendre l’exemple d’une construction architecturale, ce seraient les bases, la dalle. Tout le reste dépend de cela. Donc lorsque j’accompagne un dirigeant, notamment sur du management social, on pose les pierres sur un global et on dit : quelles sont tes bases ? Tes fondamentaux ? Quels sont déjà tes territoires ? Ils sont à toi et ils sont imprenables. Ce sont tes fondamentaux. Dans la négociation ou dans la préparation d’une vente, quelles sont tes bases, quels sont tes fondamentaux ? Est-ce que tu les maitrises ? Si on devait se rappeler toi et moi les 3 dimensions de l’approche stratégique de la négociation, on sait qu’il y a une dimension de personnes, centrée sur l’individu, la deuxième, la problématique, et la troisième le processus. Dans la négociation, il y a l’individu, le problème et le processus. Donc quels sont mes points forts, quelles sont mes bases sur lesquelles je peux capitaliser pour progresser ? Au jeu de go, on va du bord vers le centre, on ne commence jamais vers le centre.

C’est intéressant. Ça m’a permis d’écrire deux choses et tu en as souligné une. Si j’entends ce que tu dis, la première chose est de travailler sur ses fondamentaux, c’est capitaliser sur ses forces pour en faire une proposition de valeur différenciante, et la deuxième chose que j’ai notée, dis-moi si j’ai bien compris, c’est de ne pas céder à la facilité, ne pas vouloir aller trop vite dans ses lignes qui sont les plus risquées tant que l’on n’a pas capitalisé sur ses fondamentaux.

Exactement. On progresse à partir de ses fondamentaux. Le piège au jeu de go notamment, et on va les faire les liens situationnels très facilement, c’est qu’il ne faut jamais faire une extension trop loin de ses bases. C’est trop dangereux. Voir trop grand sans fiabiliser ses connexions pour le jeu de go, voir trop loin sans fiabiliser ses connexions, c’est prendre le risque de s’isoler.

C’est ne pas partir trop loin de sa zone de confort de ce que tu me dis ?  

De sa zone de maitrise, c’est-à-dire que je sais le faire ça, c’est mon point de maitrise. C’est comme si je disais, pour reprendre l’expression de mon fils, que je prends la confiance. Je suis expert en boulangerie et là je vais essayer la plomberie. Oui, c’est possible, mais attention ! Même s’il y a un trait commun, le côté manuel, on change quand même de métier ! Est-ce qu’on n’est pas loin de nos bases ? Si on devait le rapporter à un individu et au management, est-ce qu’on a bien vérifié l’aptitude de l’individu à aller plus loin que sa base, que sa base technique par exemple ? Est-ce qu’aujourd’hui je peux nommer un expert métier manager sans que ça le mette en risque ? On découvre encore aujourd’hui que l’on nomme des managers experts métiers, sans avoir vérifié les fondamentaux, les niveaux de maitrise de sa capacité à animer les hommes et les femmes, à fédérer, mobiliser, challenger, créer du lien, donner de la visibilité, donner du sens, donner de la vision, développer la performance. Du coup, non seulement on l’a mis loin de sa zone de confort, mais on l’a mis loin de sa zone d’expertise. Heureusement, et ça me donne du travail pour un petit moment, la formation permet d’accompagner ça. Un parcours manager, un parcours RH permettent d’accompagner ça. Mais souvent, le risque que l’on peut prendre en entreprise est de mettre un individu loin de sa zone d’expertise et in fine, tu as raison, de sa zone de confort. Si je ne suis pas expert dans un domaine dans lequel on me demande de l’être, je vais forcément être dans une situation inconfortable, d’où le jalonnement. Le jeu de go est le jeu du jalonnement. On peut développer sa zone d’expertise sans être dans l’inconfort. L’un n’est pas lié à l’autre. On peut développer son expertise sans être dans l’inconfort, ce qu’en management on peut tout simplement qualifier de posture de coach. Si je coache bien mon collaborateur, si je sais développer le bon niveau de compétence par étape et le bon niveau de motivation, il n’y a pas de raison qu’il sorte de sa zone de confort. L’un n’induit pas l’autre.

Très bien ! Donc travailler ses fondamentaux, ne pas céder à la facilité de sortir de sa zone de risques trop facilement. Est-ce que tu as un troisième ou quatrième concept transposable à la négo ou à la vente par rapport à ça Éric ?  

Développer constamment son sens du discernement.

Ça veut dire quoi ?

Le jeu de go enseigne : développe la conséquence immédiate d’une construction mal faite ou d’une construction bien faite. Je m’explique. Une décision mal prise, trop vite prise, mal anticipée ou mal posée, c’est-à-dire une décision pour laquelle je n’ai pas évalué les bénéfices à court, moyen et long termes, peut avoir des conséquences désastreuses. Au jeu de go, on peut répondre à un coup qui a un objectif. Je pose cette pierre pour défendre, je pose cette pierre pour attaquer. L’objectif est de poser une pierre à bénéfices multiples et sur du long terme. C’est le jeu du long terme, c’est un jeu de patience, c’est-à-dire que je vais la poser, mais elle va avoir une valeur dans 10-15-20 coups, pas tout de suite ! Donc il existe aujourd’hui des décisions que l’on prend en entreprise et qui doivent être à effet immédiat : augmentation de pandémie, télétravail. Là, c’est tout de suite, il n’y a pas à discuter. Maintenant, anticiper les nouvelles postures managériales post-télétravail, c’est avoir le coup d’avance et c’est en ça que je parle de discernement. Depuis le premier confinement, j’ai rencontré des gens, des RH, qui avaient le coup d’avance, c’est-à-dire qui ont été lucides très rapidement sur le fait que la pandémie n’allait pas s’arrêter dans la nuit de lundi à mardi premièrement, et deuxièmement, que le paradigme managérial devait être modifié rapidement et de manière pérenne. Là, on est vraiment sur une stratégie du jeu de go. Je réponds aujourd’hui à un besoin, mais je vais le pérenniser. Voilà, le coup d’avance.

Ce que tu dis, c’est que même si je peux être drivé par des indicateurs à court terme, il faut que je puisse avoir ce recul et ce discernement pour avoir une vision à long terme, et que certains coups à court terme qui seraient en apparence pas les plus pertinents, les plus rentables, ce sont des coups qui vont s’inscrire dans la durée et qui vont travailler pour le Julien, le Éric ou l’entreprise de demain, c’est ça ?

Exactement. Le jeu de Go développe l’approche court terme, moyen terme, long terme. Ce que je fais aujourd’hui doit avoir un bénéfice sur du très long terme, ce que Mao avait défini comme le marathon de 100 ans, où il disait que la suprématie chinoise reprendrait ses droits et son positionnement 100 ans plus tard, une vision à très long terme. Ça c’est vraiment intéressant.

Et ça veut dire que certains coups à court terme, tu peux les passer sous le radar. Ce sont des coups qui ne vont pas être détectés, qui ne seront pas menaçants pour l’autre, parce que tu n’es pas forcément sur un rapport de force, donc tu seras peut-être sur une logique d’influence, mais quand tu en auras besoin, tu pourras les activer de façon plus pertinente et peut-être plus imposante aussi, c’est ça ?

Quand on aura connecté. C’est-à-dire que cette décision aujourd’hui peut ne pas avoir de sens et l’art du jeu de go, c’est de dire que cette pierre-là, j’ai déjà compris que 30 coups plus tard, elle va m’aider.

C’est vraiment génial parce qu’il y a plein de parallèles à faire avec ça ! Quand j’ai créé mon entreprise, je me souviens de ces notions de motivation et de discipline, et je n’étais pas très motivé à certains moments, par contre j’ai toujours eu la discipline de beaucoup travailler, surtout au départ. Quand on crée une structure, on se dit : je vais travailler, ça ne me sert pas tout de suite, mais je fais le pari ou je fonde l’espoir qu’à un moment donné, on aura besoin de moi sur ce sujet-là, et quand on aura besoin de moi là-dessus, je sais que mes fondamentaux seront bons parce que je les aurais travaillés en amont, j’aurais fait ce travail ou j’aurais ces supports-là, et ce que tu dis fait vraiment écho. C’est vraiment cette volonté de se former continuellement, de s’ouvrir à de nouveaux sujets, de rencontrer des gens, de travailler son réseau, de travailler sa capacité à être une opportunité pour les autres sans forcément attendre quelque chose en retour. Peut-être que ça n’a pas beaucoup de sens à court terme, peut-être que ça n’en aura pas à moyen ou long terme, mais peut-être qu’à moyen ou long terme, c’est le move que l’on a fait qui va nous faire accélérer sur notre performance et notre processus.

Les réseaux professionnels ! Je crois que je te l’avais dit, j’accompagne les demandeurs d’emploi seniors au retour à l’emploi. Lorsque que je parle des réseaux professionnels et que je leur parle de la méthode, souvent, ils ne comprennent pas tout de suite : ça m’apporte quoi tout de suite ? Ce qui est d’ailleurs un principe clé de la pensée occidentale : tout, tout de suite. Le jeu de go est sur la projection sur un temps long. C’est : fais-le maintenant, mais ce n’est pas maintenant que tu vas en tirer les bénéfices, c’est plus tard. Et les réseaux professionnels, lorsqu’on les utilise avec pertinence, avec discernement, avec finesse, permettent de trouver la personne qui va m’aider à trouver la personne qui va m’aider à trouver la personne qui va m’aider à trouver la bonne personne et avec laquelle, potentiellement, je vais peut-être développer une relation ou du business.

Et quand on a un regard extérieur à ça, on dira : Éric, il a de la chance ! Or, on ne va pas voir tout le travail fait en amont, qui est invisible et qui repose sur une vraie stratégie de content marketing si on parle des réseaux, je prends un réseau simple comme LinkedIn, qui est le fait d’avoir un contenu régulier, mais ça peut être de partager dans des clubs type APM ou des clubs d’entrepreneurs, ou le fait de rendre service à d’autres personnes sur des sujets sur lesquels on se dit que ça va nous coûter un peu de temps, mais on n’est pas à l’abri de connecter différemment avec d’autres personnes, donc c’est vraiment intéressant cette vision stratégique, de ne pas se dire que le succès n’est qu’à court terme, mais que c’est un long terme.

Un succès à court terme, ce n’est plus adapté aux réalités économiques et sociales aujourd’hui. En management, je peux t’en faire la démonstration. Une méthode, une façon aujourd’hui, c’est fermer les portes. On parle souvent de polyvalence en entreprise. Il y a beaucoup de gens qui font frein à ça, mais il me plait à dire que la polyvalence dans une entreprise est la clé de l’employabilité. Un homme, une compétence c’est terminé. En 2021, ce n’est pas possible. C’est trop dangereux.

C’est génial ça ! C’est Pôle Emploi qui disait qu’en 2030, il y aurait 80 ou 70% des métiers qui n’existent pas encore. Pour moi, c’est ma perception des choses, c’est là qu’on se rend compte que l’expertise technique est paradoxalement obsolète. Ce dont on a besoin, c’est d’apprendre à apprendre, cette capacité à communiquer, à négocier. Tu vois, le Carnegie Institute of Technology, c’est une université américaine, a fait une étude qui montrait que 85% de ton succès professionnel est lié à ta capacité à écouter, communiquer, négocier. Pour les gens qui nous écoutent, ça veut dire que 15% de leur succès professionnel est lié à leur expertise métier, technique. C’est très faible.

C’est dangereux et tu viens de l’évoquer. L’expertise métier, si c’était une pierre de go, ce serait une pierre de base. C’est la base, mais ça n’est pas suffisant. L’expertise métier doit être un point de départ et pas un aboutissement. L’un de mes maitres en management disait qu’il faut vivre chaque expérience professionnelle comme une étape, pas comme un aboutissement, et en 2021, c’est encore plus d’actualité. Et dieu merci on a accès à de la formation, à de la DAE, du coaching, le CPF, et ce n’est pas l’homme de formation qui te parle ! Je n’ai jamais eu de coach en prise de poste quand j’ai été manager. Aujourd’hui, on a vraiment la capacité d’accélérer le développement de nos compétences, mais la base, c’est l’expertise.

Vu comme ça, c’est vraiment passionnant ! Et tu vois, je fais le parallèle avec les arts martiaux. Pour certains qui débutent les arts martiaux, on a l’impression que la ceinture noire est l’aboutissement, pour les gens qui pratiquent depuis très longtemps, ce shodan, ces premières dalles dans les arts martiaux, c’est la première étape de l’apprentissage, c’est l’ouverture à un autre champ des possibles. Donc ne pas voir les choses comme une finalité mais comme une étape, c’est très intéressant et ça renforce cette notion de rester sur cet infinite game, d’être toujours la meilleure version de soi-même dans la durée.

 Et ça nécessite remise en question, agilité, formation.

Complètement, totalement d’accord.

Encore une fois, ce sont les étapes nécessaires pour un projet à long terme. En plus, on va être vite rattrapé par des choses simples : la retraite n’est plus à 60 ans, donc on a intérêt à voir loin et très tôt, ce qui peut être un excellent principe du jeu de go. Se projeter très loin très tôt.

Et ça, c’est contrintuitif pour le cerveau, la partie limbique, qui a une volonté de récompense à très court-terme, a du mal. C’est vraiment intéressant ! Et ce n’est pas forcément évident dans notre quotidien, où on travaille, où on a une vie sociale, une vie de famille, d’avoir cette prise de hauteur, de recul, de se dire : là, je m’autorise peut-être une heure pour ne rien faire, et pendant cette heure, je vais juste m’évader intellectuellement, réfléchir à comment je me vois dans 10 ou 20 ans, et peut-être essayer de voir comment je peux poser des petites pierres pour reprendre le parallèle, pour faciliter cette vision, mais il faut que j’aie une vision si je veux y arriver !

C’est la différence entre la stratégie et la tactique. Stratégie, vision, tactique, moyens.

Génial, passionnant, top !

Se projeter à 62 ans, c’est déjà bien de se poser la question, se dire comment j’y vais, c’est autre chose. Les pierres sont les moyens. En management, les pierres sont des décisions, mais qui doivent s’inscrire dans une stratégie. J’ai des dirigeants qui me disent : voilà, moi je voudrais fédérer, challenger, mobiliser. J’ai compris, je vois bien, maintenant, comment ? Et ça encore une fois, ça ne va pas se faire dans la nuit de lundi à mardi. Il va falloir de la patience.

Ça veut dire que tu ne peux pas poser des pierres si tu ne sais pas où tu vas.

On est d’accord

C’est vraiment passionnant de faire le parallèle avec le jeu de go, et même au-delà de la vente ou de la négo. Sur une aspiration de vie, ce sont peut-être des questions existentielles, mais qu’est-ce qui fait qu’à la fin j’ai l’impression d’avoir réussi ma vie, d’être heureux, d’avoir peut-être contribué à un monde meilleur. Chacun se pose ces questions, mais une fois qu’on a cette vision, c’est : qu’est-ce que je vais mettre en place. J’ai l’impression que sur ton mindset, parce que je me pose ces questions des fois, tu passes d’un niveau où tu es spectateur, tu reçois ou tu fais des choses aléatoires, à une position d’acteur ou de joueur, où tu te dis : bon je vais jouer ma partie, je vais jouer ma vie de telle manière, est-ce que ça va marcher, est-ce que ça ne va pas marcher, c’est autre chose, je vois souvent ma vie comme un jeu, mais avec une vision derrière.

En gardant en tête, et le go enseigne ça, qu’on est quand même plus fort quand on est connecté à d’autres. Les pierres de go ne sont viables que si elles sont connectées, c’est-à-dire que la synergie du groupe ne prévaut que s’il est connecté. Mon maitre de Go dit toujours que 5 maillons, ça ne fait pas une chaîne. Il faut les connecter. Je suis d’accord avec toi, ça m’arrive aussi d’avoir ces réflexions-là. L’idée, c’est de se dire : seul, j’ai envie d’aller où, mais plus nombreux, on va plus loin.

C’est intéressant ce que tu viens de me dire sur le fait qu’on est plus fort quand on est connecté, que 5 maillons, ça ne fait pas une chaîne. Pour prendre un exemple de base, sur le réseau LinkedIn, ça veut bien dire que ça ne sert à rien d’avoir 5000, 1000 ou 50000 followers, abonnés ou membres, parce que certains se prévalent de ça. Je vois des titres : Éric Msellati, 10 000 abonnés, j’ai des gens qui marquent ça, je ne vois pas l’intérêt. Ce n’est pas la quantité du réseau qui est importante, c’est la qualité ?  

J’ai un de mes amis qui m’a appelé la semaine dernière, il a vu dans mon réseau qu’il y avait une personne avec laquelle il était entré en contact et m’a demandé si je connaissais cette personne.

C’est cette capacité à avoir le numéro de téléphone dans ton portable, mais surtout que l’autre décroche quand tu appelles.

Exactement et des fois ça m’arrive de dire que je le connais vraiment et ça facilite la connexion.

Génial ! Est-ce que le jeu de go ou Sun Tzu t’ont appris la chose à ne surtout pas faire, pour laquelle tu te dis : ça, c’est l’erreur de base ?

Se précipiter ! Je parle en mon nom, le jeu de go permet de canaliser la fouge, l’énergie, le côté un peu brut de fonderie. Après, les formations au coaching, au développement personnel, développent encore plus cette approche-là. Pour moi, l’enseignement du go, c’est de regarder une situation sous un maximum d’angles, ce n’est pas de se dire : face à ça, je réponds ça. C’est : face à ça, premièrement, qu’est-ce qui a conduit à cette situation, deuxièmement, comment je l’analyse, troisièmement, comment est-ce que je peux la regarder dans un autre sens y compris le sens de mon interlocuteur. En négociation, c’est quand même intéressant de se dire que moi je vois ça, mais lui, que voit-il ? Oui, pour moi Julien, l’enseignement principal du jeu de go, c’est ne pas partir de bille en tête, pas d’avidité, ne pas voir trop grand, fiabiliser ses fondamentaux, ses bases, ne pas aller sur un terrain qui serait beaucoup trop loin, mais surtout, pas de précipitation et prendre une décision après avoir vu la situation sous tous les angles ! L’un des préceptes de Hagakure, la voie du samouraï, est de prendre une décision le temps de 7 souffles, ce qui pourrait largement s’appliquer au jeu de go. J’initiais il y a 15 jours un groupe de dirigeants au jeu de go et je leur disais : joue le coup que tu penses jouer, mais avant de le jouer, pose-toi la question : ce coup va répondre, c’est bien, c’est un bon coup, mais est-ce qu’il n’y a pas mieux ? C’est un bon coup, mais n’y a-t-il pas un meilleur coup à jouer ? En fait, l’enseignement du jeu de go depuis une vingtaine d’années, c’est celui-là. Ok Éric, ça peut être une bonne décision, mais n’y a-t-il pas une meilleure décision. Et pour ça, il faut appréhender la situation sous tous les angles, pour éviter et réduire le risque parce qu’encore une fois, c’est ce que je te disais en préambule, le jeu de go n’est pas une boule de cristal, ce n’est pas une science infuse, c’est un jeu qui permet de réduire les risques tout simplement. Et à notre époque, faire ça, c’est déjà bien.

J’entends, et ça dépasse même la négociation ce que tu dis. C’est avoir cette notion de discernement. Si je dois faire un choix, est-ce que je ne pourrais pas en trouver un meilleur et qui réponde à plusieurs stratégies. C’est ce que tu disais tout à l’heure, quand je pose ma pierre, elle doit avoir plusieurs objectifs parce qu’à moyen, long terme, elle va révéler pleinement son potentiel. Si tu me permets la comparaison, ta pierre à moyen, long terme peut quasiment devenir un diamant sur une vie ! C’est vraiment intéressant d’avoir cette vision à moyen terme. C’est vraiment passionnant Éric, c’est très riche et ça dépasse clairement les notions de négo et de leadership. J’ai une dernière question pour toi. C’est une question que je pose régulièrement, mais tu la connais parce que tu nous suis un petit peu. Si le Éric d’aujourd’hui devait rencontrer le Éric d’il y a 20 ans, quel est le conseil que tu lui donnerais sachant qu’en plus, on a parlé de vision à long terme, de stratégie, du meilleur coup que l’on peut aller chercher ?  

Tu m’as eu ! C’est un petit peu radical, mais je lui dirais peut-être : ne donne pas crédit à la personne qui n’a rien démontré sur le conseil qu’elle te donne. Si je développais, on est vraiment sur de l’influence pure et dure, c’est protège toi de l’influence qui vient d’une personne qui n’a ni vécu ni démontré le conseil qu’elle te donne. Ça voudrait dire : ne te fais pas manipuler.

Derrière ça, c’est : crois davantage en ta vision à long terme ?

Fais-toi confiance ! Et peut-être : entoure-toi bien.

On en revient aux pierres et aux chaînes.  

Entoure-toi bien. Dieu merci, j’ai souvent été très bien entouré, et encore aujourd’hui, mais j’aurais pu gagner du temps.

C’était vraiment passionnant Éric, un très grand merci à toi. Je mettrai le lien de ton activité pour les gens qui veulent te contacter pour avoir cette perception de stratégie, de jeu de go, de Sun Tzu, dans leur coaching, dans leur management et tout ça. Merci à toi !

Avec grand plaisir Julien !

C’était un plaisir extrêmement partagé ! On va le confesser, tu as été mon premier manager quand j’étais jeune. Je devais avoir 22-23 ans et pour le coup, j’ai été bien entouré il y a plus de 20 ans avec des conseils assez intéressants. En tout cas, je n’ai pas à me plaindre aujourd’hui. Un très grand merci pour tout ce que tu avais partagé avec le Julien d’il y a 20 ans.

Merci à toi Julien et je vais m’autoriser cette affirmation : je suis très fier de voir ce que tu es devenu, ton parcours professionnel qui est brillantissime. Tu as plein d’enseignements, plein de richesses.

J’y suis sensible, un très grand merci, mais de toute façon, une grosse partie du succès est liée aux pierres.

 Continue ! Mon petit conseil à moi est celui-là : continue, tes pierres sont solides !

Grâce au chaînon, grâce aux autres pierres, très clairement. J’ai beaucoup de gratitude pour ça. Un grand merci pour ça Éric, et pour nous, je vous dis à dans deux semaines pour un nouvel épisode de Pourparler, le podcast de la négociation. Merci !

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