Le négociateur est il acteur ? Hubert Myon

Bonjour à tous, je m’appelle Julien Pelabere, je suis négociateur professionnel. Mon métier est d’accompagner, former et assister des entreprises ou organisations à la conduite de leurs négociations les plus sensibles et les plus complexes. Bienvenue dans Pourparler, le podcast de la négociation. Notre ambition est simple : vous donner des clés pour mieux négocier, mieux négocier pour un meilleur futur professionnel et personnel. Aujourd’hui, j’ai la chance de recevoir Hubert Myon. Bonjour Hubert, comment vas-tu ?

Bonjour Julien, ça va très bien et toi ?

En pleine forme. Je suis ravi que tu sois là parce qu’on a l’occasion de travailler ensemble sur des sujets entre la négociation, la médiation et le jeu d’acteur qui est l’un de tes cœurs de métier, et ça me fait extrêmement plaisir d’aborder cette thématique. Avant qu’on entre dans le détail, est-ce que tu peux te présenter pour les personnes qui ne te connaissent pas s’il te plait ?  

Bonjour à tous, je suis Hubert Myon. En quelques mots, j’ai démarré ma vie en entreprise en tant que commercial et marketing dans des grands groupes, dans le luxe et les médias, et suite à un burn out, j’ai bifurqué pour me glisser dans cette triple voie que j’ai aujourd’hui. Une voie qui est vraiment animée par l’audace, c’est ce qui m’intéresse au quotidien, la capacité à oser et j’utilise ce leitmotiv sur 3 axes, d’abord en tant que comédien : théâtre, télé et cinéma pour différents projets, comédie, drame ou autre. On aura l’occasion d’en reparler sur ce que veut dire être acteur et être acteur de sa négociation. J’ai également une autre activité, celle de formateur coach et c’est dans ce cadre-là que l’on se connait et que l’on travaille ensemble, et enfin, dernier volet, je suis médiateur en entreprise sur toutes les difficultés sociales que l’on peut rencontrer et comment on accompagne la résolution des conflits sociaux en interne.

Et oui tu enseignes quand il te reste un peu de temps libre dans ta journée ?

Oui, dans différentes écoles et instituts, les différentes approches que j’ai en termes d’art oratoire, de prises de parole en public mais également les notions de gestion des conflits, des incivilités, des tensions, la négociation et la médiation.

On a décidé ensemble d’aborder cette question : est-ce que le négociateur est un acteur et j’ai envie de dire que c’est vachement paradoxal parce que quand tu ouvres n’importe quel livre de management, on te dit que le manager ou le négociateur doit être authentique, mais s’il est authentique est-ce qu’il peut être un acteur ? Est-ce que tu peux m’aider à mieux comprendre ? Est-ce que le négociateur doit jouer un rôle ? C’est quoi avoir un rôle ? C’est quoi être acteur de sa négo ou être acteur de la situation ?

La réponse est complexe, il y a beaucoup de choses à dire. Je voudrais démarrer avec une première étape qui est importante pour moi, c’est la notion d’étymologie. Qu’est-ce que c’est être acteur ? Être acteur, c’est être responsable de ses actes. La première définition c’est ça. Bien sûr, on a la notion d’acteur en tant que comédien sur scène, sur un plateau de cinéma, mais il est avant tout responsable de ses actes. Nous, sur un projet de théâtre, c’est une des premières choses que l’on nous demande. Au-delà de jouer, on nous demande d’être responsable de notre préparation, de notre apprentissage, de notre capacité à se mettre dans le personnage, dans le texte, la mise en scène etc. On fait vraiment appel à notre responsabilité. J’ai pas mal de relations avec des metteurs en scène et réalisateurs qui me disent et s’accordent tous dessus : on a besoin et ce qu’on cherche, ce sont des acteurs responsables, à qui on peut se fier en termes de capacité d’implication et de travail. Une fois que l’on a dit ça, il y a des passerelles qui se font entre acteur et négociateur. Ceci étant, il y a d’autres choses à préciser en amont. D’abord, tu poses la question : est-ce qu’on peut être acteur en étant authentique ? On est acteur parce qu’on est authentique, sinon on ne serait pas un bon acteur, sinon la pièce est mal jouée, le film est mauvais, en tous cas les acteurs sont mauvais dans le film. On essaye de faire de notre mieux et on essaye d’être le plus authentique possible parce que c’est ça qui va permettre au public, si l’on parle du métier de comédien, de croire à notre personnage et de croire à l’histoire. Ça veut dire quoi être authentique ? C’est utiliser pleinement qui je suis pour servir mon personnage, ma pièce, mon objectif.

C’est utiliser totalement qui je suis. C’est fort. C’est ne pas se renier, donc il faut se connaitre.

Ça passe effectivement par une phase de connaissance, une phase de conscience de qui je suis, de mes capacités, de mes talents et peut-être des zones de vulnérabilité sur lesquelles je dois travailler parce que ça va être utile pour mon objectif. En tant que comédien, on est comme un négociateur, là-dessus on se rejoint, on a un objectif à servir, on a un objectif à atteindre : on a une pièce à jouer et on a des effets à provoquer chez notre public, et en tant que négociateur, par définition, on a des objectifs à atteindre donc ne pas se renier c’est effectivement déjà en avoir connaissance et conscience, ça veut dire utiliser la palette de potentiels que j’ai, que ce soit intellectuellement, physiquement ou émotionnellement.

C’est génial. Est-ce qu’être authentique signifie céder à ses pulsions ? Si j’ai envie de dire à un moment « aime » à l’autre, est-ce qu’être authentique c’est le dire ou est-ce que c’est regarder comment je vis l’émotion, comment elle prend le dessus, comment est-ce que je peux la canaliser toujours dans cette notion de chercher à répondre à un objectif ? J’adore ce que tu viens de dire, il faut définir un objectif, parce que c’est le but de la négociation et on doit toujours se poser la question : est-ce que ce que je mets en place dans la négo répond à cet objectif ? Et ça, beaucoup de personne l’oublient, c’est-à-dire que dans la négo, on pourrait se dire : bon, à un moment j’ai envie de dire fuck ou de te dire que j’ai raison, mais la première question que je devrais me poser c’est : en disant ça, est-ce que ça répond à mon objectif d’accord ?

Bien sûr, on ne met pas un pied sur un plateau de théâtre, quand on est dans les coulisses, quand la pièce a démarré, si on ne sait pas ce qu’on va y faire et pourquoi on monte sur scène. Ce n’est pas possible. Soit on ne va pas savoir quoi faire, le public va le voir évidemment, soit on va faire des choses mécaniquement et là on va perdre de l’authenticité et du naturel dans le jeu et donc on ne va pas être bon.

Donc être authentique, c’est se mettre totalement et à 100% à disposition en vue de réaliser cet objectif ?

Totalement.

Il ne faut donc pas oublier « en vue de réaliser cet objectif », donc je vais donner la meilleure version de moi-même en vue de réaliser cet objectif. C’est vraiment génial parce que pour beaucoup, être authentique c’est se lever et sortir, c’est dire non à l’autre, c’est d’exploser si j’ai envie d’exploser, mais pas du tout, parce que sinon j’en oublie mon objectif ? 

C’est exactement ça. En l’occurrence, on peut se questionner sur l’objectif parce qu’il se prépare évidemment. Tu demandais tout à l’heure, parce que j’ai envie de rebondir là-dessus, si c’est céder à ses pulsions. Est-ce que si je cède à mes pulsions, je suis authentique avec moi-même ? J’ai un objectif qui est de perdre du poids, est-ce que si je cède à cette tablette de chocolat, je vais atteindre mon objectif ? Je dirais oui et non. Non bien sûr parce qu’on s’imagine bien qu’une tablette de chocolat ne va pas m’aider à maigrir. Cependant, on peut se dire oui parce que si je me dis : là, je m’autorise cette tablette parce que je sais que ce soir je ferai une diète. Il n’y a pas de règle définie mais il faut toujours mettre en perspective ce que je fais. C’est ça qui est important.

Donc être acteur ne m’empêche pas d’être authentique. Mais, du coup, c’est quoi être acteur de sa négociation en dehors d’être responsable ?

Etre acteur ne m’empêche pas d’être authentique et au contraire ! Si je veux être bon acteur, il faut être authentique. Si demain je dois jouer quelqu’un sur scène, devant une caméra, qui est un amoureux transi ou un tyran sadique, il faut que j’aille chercher ça en moi pour le mettre au service du personnage parce que je fais appel à ma palette de couleurs. C’est utiliser pleinement ce que je suis et mon potentiel, être à un moment donné, la meilleure version de moi-même. Etre acteur de sa négo, ça veut dire quoi du coup ? Déjà, je reviens au sens premier du terme : être responsable de ses actes. Aujourd’hui, je prépare ma négo. La première des responsabilités pour moi, c’est de préparer.

Et être responsable de ses actes, ça veut dire aussi, indirectement, c’est comme ça que je le comprends, ne pas subir les émotions, ne pas subir un environnement et être responsable au sens large du terme, et la préparation le permet ?

 Exactement. Il y a bien sûr toute l’anticipation que l’on peut avoir. Encore une fois, nous, au théâtre, on apprend un texte, on répète, on se prépare et après il y a ce qui se passe sur le plateau ou en négociation où là bien sûr on n’est pas maître de tout, on ne peut pas tout savoir, tout maîtriser, tout anticiper, il y a aussi l’imprévu et il y a un lien que j’aime beaucoup faire entre acteur et négociateur c’est que l’acteur, qu’est-ce qu’il fait ? Il est aussi disponible, j’aime bien le mot que tu as utilisé, c’est une vraie disponibilité pour être en capacité d’improviser, de s’adapter au moment donné s’il ne se passe pas ce qui est prévu : le texte qui doit venir ne vient pas, la musique qui doit se lancer ne se lance pas. J’ai eu des spectateurs qui font un malaise dans la salle au milieu de la pièce, qu’est-ce qu’on fait ? On s’adapte.

Ce qu’on retrouve en négociation, parce qu’en négociation on parle d’unicité de temps de lieu, d’action et de personne, chaque négociation est unique et la négociation est complexe par définition, c’est-à-dire qu’il y a des facteurs exogènes qui vont impacter mon système qu’est la négociation avec de l’incertitude et du risque et tu dis que c’est exactement la même chose dans l’acting, c’est comment je me rends disponible. A un moment, tu as évoqué la notion de rôle, est-ce qu’on peut la définir ? C’est quoi jouer un rôle parce qu’on va jouer un rôle dans cette pièce qu’est la négociation ?

 Jouer un rôle pour moi, c’est tenir un propos pour moi. Quel est mon propos, qu’est-ce que mon personnage a à dire ou, en tant que négociateur, qu’est-ce que je défends ?

Toujours dans cette volonté d’aller chercher un objectif ?

 Oui, mais je dirais que, pour moi, mon propos est au service de mon objectif. Mon propos n’est pas mon objectif. C’est ça qui m’intéresse, c’est que tout ce que je vais dire dans ma négo, comment est-ce que je l’assume ? C’est ça mon rôle : assumer ce que je dis et ce que j’ai préparé, mes argumentations, mes intérêts, comment je les assume pour pouvoir les mettre au service de l’objectif. L’acteur est pareil.

Si je comprends ce que tu me dis c’est que dans certaines négociations, je peux avoir un certain rôle, dans d’autres, je peux avoir d’autres rôles, je reste moi-même, je fais ressortir la facette de moi la plus adaptée à la situation pour répondre à mon objectif ?

Complètement, sachant que pour moi, c’est important qu’on se le dise : quel est l’objectif ? On a déjà utilisé plusieurs fois ce mot ensemble et je trouve qu’il est important, c’est cette notion de création de valeur. Tout l’enjeu, l’intérêt n’est que dans la création de valeur. En négociation, je pense qu’on le comprend aisément, créer de la valeur ensemble pour que chacun s’y retrouve mais pour moi, au théâtre, au cinéma, c’est pareil. On est là pour créer ensemble de la valeur, on est là pour créer ensemble un film. Certains le disent : l’art de la négociation. Il y a une partie artistique dans la négociation. C’est d’ailleurs ce que j’aime dans cette discipline mais pour moi, en tant qu’artiste, on crée quelque chose, c’est la définition de base de l’artiste et pour moi en négociation, c’est pareil, c’est créer peut-être un peu plus spécifiquement de la valeur. Pour moi, la seule intention, le seul objectif que l’on a c’est : quelle est la valeur que j’aurais créée à la fin de tout ça, à la fin de cette session de négociation ?

D’où le vocabulaire artistique que l’on retrouve dans le management comme le terme coopérer où on a la notion d’opéra qui est une œuvre étymologiquement. Quand on coopère, on crée une œuvre à plusieurs. C’est fort ce que tu dis. Comment est-ce que je définis ce rôle ? D’une certaine manière, ça veut dire que la préparation que je vais faire en amont ou le mandat que l’on va me donner – d’ailleurs, peux-tu me dire ce qu’est le mandat – va participer à définir ce rôle chez moi ?

Ce que j’ai coutume de dire, c’est qu’un rôle se construit. Ce n’est pas quelque chose de figé, d’écrit quelque part, c’est quelque chose qui se construit. Quand tu parles de mandat, j’ai toujours un mandat de la part d’un réalisateur ou d’un metteur en scène qui me donne une feuille de route et une piste vers laquelle aller pour me préparer et préparer mon rôle. C’est pareil en négociation, on a un mandat, une feuille de route à tenir avec différents critères dessus et puis une mesure assez objective.

On peut faire plein de parallèles entre le jeu d’acting et la négociation là. En négociation, on dit que si le mandat est trop étroit, tu ne négocies pas, tu imposes un point de vue à l’autre et s’il est trop large, c’est extrêmement déstabilisant parce que c’est : fais comme tu veux et dès que tu as un accord, on te dira : oui mais d’habitude on ne fait pas comme ça, oui mais le mandat n’était pas défini. En fait, dans le jeu d’acting c’est exactement la même chose ? C’est-à-dire que si tu n’as aucune liberté, j’imagine que pour toi ce n’est pas agréable mais si on te dit à la virgule près quoi faire, tu perds en sincérité ?

Je ne perds pas en sincérité mais ce sont d’autres méthodes de travail et c’est là aussi où je fais appel à l’authenticité : où est-ce que je me sens à l’aise, pas seulement dans le sens où c’est bien, où je me fais plaisir, mais où est-ce que je suis le plus efficient possible ? Est-ce que c’est dans un mandat plutôt serré ou plutôt libre ? Est-ce que j’ai besoin que mon réalisateur soit à côté de moi, qu’on refasse, qu’on s’explique, qu’on parle beaucoup ou est-ce qu’au contraire, j’ai besoin d’un réalisateur qui me laisse totalement libre ? Ce sont deux approches de travail très différentes et les acteurs sont plus ou moins à l’aise avec l’une ou l’autre et c’est là qu’il faut se connaitre. Et pour répondre à ta question, pour moi, le rôle se construit, c’est tout un ensemble : qu’est-ce que tu me demandes et qu’est-ce que j’ai envie de te proposer avec mon mandataire ?

Qu’est-ce que tu me demandes et par rapport à ça, qu’est-ce que j’ai chez moi et pour être authentique et qui répond à ton attente ? Quelle est la facette que je peux donner moi-même pour répondre à ton attente ?

Oui parce que c’est moi qui vais être sur scène, devant le public. J’ai pas mal d’acteurs et d’actrices qui me disent : ah mais c’est facile ce qu’il me demande. Oui et non. Peut-être que la demande est exigeante mais toi, qu’est-ce que tu en as fait ? Qu’est-ce que tu as proposé ? Comment vous avez travaillé ensemble pour faire ça ? Parce qu’effectivement derrière c’est toi qui es sur scène donc il faut l’assumer.

J’ai un mot qui me vient en tête, est-ce que c’est un mot qui te parle là-dessus : c’est d’être congruent en fait ?

Oui. Je ferais attention à ce mot là aussi parce que pour moi il est par définition instable. La congruence n’est pas figée, ce n’est pas : tiens, c’est bon, un jour j’ai trouvé ma congruence, on la remet tous les jours en question, donc bien sûr c’est la congruence et en même la congruence n’est jamais quelque chose de figé.

C’est à un instant T. C’est qu’entre ce que je dis, ce que je pense, ce que l’autre comprend de mon comportement, il n’y ait pas trop de déperdition.

Exactement. Un deuxième point que je voudrais dire sur le rôle et qui est très important pour moi, c’est la notion d’apprentissage. C’est pour ça que ce métier d’acteur est incroyable, c’est qu’à la fois on apporte notre compétence, notre savoir-faire, notre savoir-être pour le mettre au service du personnage et de la pièce, et en même temps on sait qu’on apprend. Demain, on me demande de jouer tel ou tel rôle, je sais que je vais devoir apprendre des choses. Je ne peux pas arriver en sachant tout, ce n’est pas possible. Mon authenticité va être aussi dans ma capacité à aborder ce rôle en me disant que j’ai quelque chose à apprendre dans cette nouvelle situation, dans ce nouveau projet théâtral ou artistique. J’aborde aussi la négociation de cette manière-là. Bien sûr que je suis un expert, je me suis préparé, je me suis peut-être fait accompagner pour être bien prêt et en même temps j’ai totalement conscience que cette négociation est un nouvel apprentissage pour moi, que je vais découvrir quelque chose.

Ça veut dire que si tu entres dans ton processus de négociation avec ce biais de surconfiance, en étant persuadé que tu sais ce que tu veux, que tu sais ce que l’autre veut et que tu sais exactement comment tu vas trouver un accord, c’est le meilleur moyen d’aller droit dans le mur ?

Exactement.

C’est quoi ? C’est l’humilité ?

Oui, c’est beaucoup d’humilité et ce qui est d’ailleurs très antinomique avec l’égo parce qu’on sait qu’il y a beaucoup d’égo chez les artistes mais il y a beaucoup d’humilité, et je dirais aussi beaucoup d’altruisme dans le sens où je m’ouvre beaucoup à l’autre.

On est dans la démarche de donner ?

Oui. Je ne peux être bon sur une scène de théâtre ou sur un plateau que si l’autre est avec moi ou que je vais chercher l’autre pour être bon. Même si c’est dans un monologue, j’ai besoin que l’ingénieur du son soit avec moi, j’ai besoin que le chef ops soit avec moi. Même si c’est un monologue, j’ai besoin des autres.

Ce qu’on retrouve dans à la négociation. Je peux avoir un accord sans l’autre, contre lui, ce n’est pas un problème mais si je veux le meilleur accord possible de la situation, j’ai besoin qu’il m’aide. Je ne peux pas avoir d’opportunité si je ne suis pas moi-même une opportunité pour lui.

 Je ne sais pas ce que tu en penses, mais je me dis que c’est facile d’avoir un accord rapidement et contre l’autre.

Un compromis, on coupe la poire en deux.

 Oui c’est ça, ce n’est pas très compliqué.

Ou même un gagnant-perdant où l’un perd tout et l’autre a tout gagné. Je reviens sur cette notion, je viens de dire gagnant-perdant, généralement les gens pensent à la négociation en win-win qui est séduisant intellectuellement mais qui est beaucoup plus compliqué dans la vraie vie, et surtout, cette notion de win-win, de gagnant-gagnant, n’est pas de Ury et Fisher en 1981 à partir du livre Getting to Yes, mais de Robert Axelrod qui a travaillé sur la théorie des jeux et qui, sur sa meilleure stratégie de la théorie des jeux, nous dit que c’est le tit for that with forgiveness qu’il a résumé en donnant-donnant, qui est traduit en win-win, et ce que tu me dis c’est que l’acteur, pour jouer ce rôle, la première chose, c’est qu’il doit être dans cette logique de donner ?

Oui. Tu imagines bien que pour donner la base qui est de l’énergie dont on a besoin pour jouer, il faut être sacrément disponible parce qu’il y a des soirs où n’a pas envie de jouer.

Je ne peux pas donner ce que je n’ai pas, donc comment je fais dans la négociation si je dois jouer un rôle que je n’ai pas envie de jouer parce qu’on me demande quelque chose ?  

Je ne peux pas donner ce que je n’ai pas mais je considère que l’on a toujours quelque chose à donner. J’ai une expérience dans mon école de théâtre. Je suis arrivé un soir en cours et j’étais très fatigué parce que je travaillais encore dans mon entreprise la journée. J’étais très fatigué, pas bien, à moitié malade, et je suis arrivée le soir au cours et je dis à la prof : écoute, je suis désolé mais je ne passerai pas ma scène ce soir, je ne peux pas, je ne suis pas prêt, je ne suis pas disponible, je ne suis pas en forme et elle m’a dit : je vous prends au mot, je m’en fous, vous y allez. Elle m’a forcé à aller sur scène et je pense que je n’ai jamais été aussi bon que ce soir-là. Pourquoi ? Parce que j’ai lâché la représentation de ce que je voulais faire et de ce que je voulais donner, il faut que je sois dans cette énergie-là pour que je sois bien, je suis allé puiser pleinement ce que j’avais pour le donner et j’ai fait avec ce que j’étais pleinement, avec ma préparation bien sûr, j’ai fait avec ce que j’avais à donner ce soir-là et ce que j’avais donné était finalement tellement juste et authentique que ça a marché.

Est-ce que ça veut dire que tu t’es délivré d’un certain regard extérieur pour gagner encore plus en authenticité ?

Évidemment, parce que j’ai été surement moins dans la représentation, dans ce que je voulais montrer comme type de personnage et être encore plus moi-même d’une part et d’autre part je suis surtout aller chercher ce que j’avais à donner. Du coup je suis parti de la base : ok tu es fatigué, mais qu’est-ce que t’as dans ta besace et que tu peux mettre au service là ?

Est-ce que ce que tu as donné est différent de ce que tu as donné les autres soirs ? Ma question c’est comme je ne peux pas donner ce que je n’ai pas mais que j’ai toujours quelque chose en moi, si on me demande de jouer un rôle, c’est quelque chose sur lequel je peux être d’accord / pas d’accord, que je peux négocier, mais je peux peut-être avoir différents rôles toujours dans cette volonté de satisfaire l’objectif ?

Bien sûr. Un Tartuffe, tu peux le jouer de différentes manières, un Dom Juan, il aura toujours le même objectif mais tu peux le jouer de différentes manières.

Donc ce que je dois vraiment définir c’est mon objectif mais après je suis responsable du rôle que je vais jouer et je suis responsable d’accepter le rôle qu’on me donne – je pense notamment aux directions des achats dans la grande distribution ou dans l’automobile qui peuvent être assez dures – je suis responsable d’accepter ce rôle du good cop / bad cop, du gentil / du méchant alors que j’ai peut-être d’autres façons à ma disposition pour aller chercher cet objectif ?

Complètement. C’est la notion de responsabilité encore une fois : qu’est-ce que j’ai envie de jouer ? Est-ce que j’ai envie de jouer ce rôle et si oui, alors j’y vais pleinement et j’y vais à fond parce que c’est ma responsabilité pour que l’objectif individuel, le mien, et l’objectif collectif de création de valeur commune, aboutissent. C’est ça que j’aime bien dans le lien d’acteur et de négociateur, il y a cette notion de collectif. On est ensemble dans la négo. Ça ne veut pas dire qu’on est amis, on n’est pas amis, mais on est ensemble sur ce sujet de négociation comme on est ensemble avec des partenaires de scène, avec des techniciens et avec le public. On a besoin les uns des autres, chacun a sa place pour que la pièce se joue correctement et pour moi la négociation est une pièce qui se joue.

Je suis totalement d’accord pour une raison assez simple, c’est qu’on est différent dans une négociation professionnelle, dans une négociation personnelle ou dans notre vie privée avec notre cercle d’amis et même nous, on a une interaction qui est différente quand on est entre nous ou quand on est avec nos clients. On montre une facette de nous, qui n’est pas fausse, mais qui est adaptée à l’instant T. Maintenant que j’ai cette notion de rôle en tête, j’ai certaines négociations qui peuvent être longues en intensité ou dans la durée, pour toi qui joues tous les soirs, comment être endurant sur cette notion de rôle ? Comment être congruent avec ça ? Est-ce que peux changer d’énergie à un moment donné ? Comment est-ce que tu vois les choses sur cette notion d’endurance dans mon rôle qui n’est pas moi-même mais une facette de moi-même ?

C’est une facette de moi, ce n’est peut-être pas tout moi, mais c’est une facette de moi donc c’est moi. Par rapport à l’endurance, c’est un vrai sujet en acting, pas dans le sens où tous les rôles sont physiques, l’endurance est aussi dans cette notion de concentration. Sur un plateau de théâtre ou de cinéma, l’endurance vient de notre rapport au corps, si j’ai un rapport à mon corps qui est le plus pacifié possible, j’aurais a priori aucun problème de concentration.

Qu’est-ce que tu appelles « pacifié » ?

Pacifié parce que j’entends autour de moi dans les accompagnements que je fais, dans les comédiens que je rencontre, que le rapport au corps n’est pas forcément simple, on n’aime pas forcément notre corps. On aimerait bien voir nos corps plus grands, plus petits, plus minces, plus costauds et la notion d’écouter notre corps – ce n’est pas parce que c’est bien ou qu’il y a une tendance aujourd’hui autour des aspects de méditation, de développement personnel – parce que je considère qu’en tant qu’acteur ou négociateur, mon premier outil de travail, c’est mon corps, ce ne sont pas mon papier et mon stylo. Ça va être ma respiration, mon regard, ma voix, ma gestuelle, c’est ça qui va me permettre d’incarner mon rôle. Un rôle avant tout, c’est un corps.

On dit qu’il y a 3 canaux de communication d’un message, je ne retourne pas sur l’étude de Mehrabian avec les chiffres, qui est biaisée, mais sur les ordres de grandeur, c’est intéressant. On a une grosse partie de la communication qui est sur l’expression corporelle, je vais avoir une partie qui est sur ma prosodie, la tonalité de voix, le rythme, l’accent, et une partie sur les mots utilisés, et les 3 vont se mailler. Donc le corps, je dois l’apprivoiser ? 

Oui. En tant qu’acteur, dans les bonnes écoles de théâtre, la première chose que l’on fait c’est de laisser le texte sur la chaise. Tu connais ton personnage, tu connais la scène, mais on va te dire : avant tout tu vas me le mimer.  Comment marche ton personnage ? Comment il se tient ? Comment il regarde ? Est-ce qu’il regarde déjà et il regarde quoi ? C’est intéressant parce que je trouve qu’en négociation, c’est pareil. Avant de dire quoi que ce soit, comment est-ce que je me tiens ? Comment est-ce que je m’assieds si c’est une table ? Comment je rentre dans la salle ?

Génial ! Est-ce que tu as des tips pour les gens qui nous écoutent ou nous regardent : comment je crée les conditions pour faire une bonne première impression ? Parce que généralement cette bonne première impression va dépendre de ce que j’émane et pas de ce que je dis puisqu’avant même d’avoir parlé, mon interlocuteur va se faire une première impression.

Ce n’est même pas pour l’interlocuteur, c’est pour soi, pour être à l’aise dans le rôle que j’ai à jouer : est-ce que je me sens bien dans le rôle que j’ai à jouer ? Si je joue le rôle d’un curé, d’un avocat, est-ce que je suis bien dans mon rôle ? Évidemment, au théâtre, ce qui est génial, c’est que les costumes nous aident à nous mettre dans des rôles.

A une négociation aussi : tu peux décider d’y aller en costard 3 pièces, en costume, cravate, gilet ou en jean. C’est vraiment intéressant parce que je suis en train d’écrire un second livre qui s’appelle Pitch et influence et j’explique que je fais aujourd’hui beaucoup de rendez-vous en jean, non pas par manque de respect pour mon interlocuteur mais parce que je me sens beaucoup plus à l’aise et que j’ai l’impression d’être plus congruent avec moi-même, je trouve ça génial et c’est, d’une certaine manière, mon costume.  

C’est ça ! J’ai 2 tips que j’utilise toujours. Premièrement, c’est la règle 4-6 : j’inspire 4 fois et j’expire 6 fois.

A quoi ça ressemble ? 

J’inspire sur 4 temps par le nez et j’expire sur 6 temps par la bouche.

C’est-à-dire que tu coupes ta respiration 4 fois ?

Ou tu peux faire un filet d’inspiration tout doux.

Pour les gens qui nous écoutent c’est : tu vas découper en 4 temps ton inspiration et ton expiration en 6 temps. Je l’ai fait une fois et c’est intéressant parce que j’ai eu l’impression que le temps ralentissait, un peu comme de la cohérence cardiaque.  

On rejoint les sujets de méditation, de cohérence cardiaque. Je suis adepte de toutes ces méthodes-là. Les noms et les philosophies derrière, je suis assez ouvert là-dessus, il n’y a pas de sujet, je n’ai pas de chapelle. La seule chose qui m’importe c’est l’effet produit. L’effet produit sur soi, c’est une décontraction de toutes les zones de tension, un relâchement des épaules et puis on va voir juste après la notion de voix qui se pose. Si je suis stressé, je vais être un peu plus agité, alors que si je me pose, si je respire, je vais avoir une voix plus posée et je vais avoir une voix qu’on appelle au théâtre la voix medium, une voix plus timbrée et du coup une voix qu’on appelle la voix de l’affirmation qui va effectivement produire un impact qui est : la personne en face de moi ne va pas pouvoir remettre en cause quoi que ce soit parce que j’ai posé.

Cet exercice de respiration impacte mon expression corporelle parce que ça me relâche et ma prosodie, c’est-à-dire ma tonalité de voix ?

Exactement.

J’inspire 4 fois et je souffle 6 fois.

On va dire sur 4 temps et 6 temps. Ce sont des exercices qu’on fait tout le temps avant de monter sur scène parce que sinon on ne rentre peut-être pas dans la bonne énergie, on va louper notre effet, notre démarrage.

Ça me permet d’être présent à l’instant T et pleinement présent.  

Exactement.

Est-ce que tu aurais quelque chose en termes de position pour entrer ?

C’est le deuxième outil que j’utilise beaucoup : le jeu des 3 secondes. J’attends 3 secondes avant de dire quoi que ce soit, même bonjour. Qu’est-ce que ça permet ? Ça permet de se redresser tout doucement et d’avoir le regard qui s’adresse là où j’ai envie de l’adresser, en l’occurrence à la personne à qui je m’adresse. En négociation, on ne parle pas à ses papiers, on ne parle pas autour de soi, on parle à la personne en face de soi. Prendre le temps de prendre 3 secondes, je m’interdis de parler, c’est un peu comme des caméras qui bougent toutes seules et qui se fixent sur la personne qui parlent.

Qu’on soit bien d’accord, c’est ne pas parler pendant 3 secondes mais ça n’interdit pas de regarder ou de sourire ?

Au contraire ! Il faut en profiter pour créer le contact. Premier exercice de communication : je crée un contact sans dire un mot.

Ce n’est pas un exercice évident pour les gens qui vont essayer parce que le silence ne nous met pas tous à l’aise. Sur un one-to-one à la limite, tu vas m’en parler, mais comment on apprivoise cette notion de silence et sur scène, quand tu as 200 ou 300 personnes qui te regardent, ces quelques secondes de silence ne sont pas les mêmes ?  

Oui. Ce qui m’aide c’est d’assumer que j’aime être regardé. J’aime qu’on me regarde, j’aime qu’on soit un peu suspendu à mes lèvres, qu’on se dise : silence, qu’est-ce qu’il va dire ? Pareil en négociation, j’aime sentir qu’en face il y a une attente de l’interlocuteur qui se dit : qu’est-ce qu’il va dire à ce moment-là ? Comment il va aborder la suite de la négociation ? Qu’est-ce qu’il va répondre à ce que je viens de lui dire ? Moment suspendu. J’aime créer cet effet-là.

Ce n’est vraiment pas un exercice facile. J’ai fait une conférence Ted qui est filmée sur la négociation et mon coach m’avait dit : attends 5 secondes avant de commencer pour avoir un focus d’attention sur toi et gagner en impact sur tes premiers mots. J’étais persuadé que j’avais dépassé les 5 secondes et quand je vois la vidéo Ted, ça doit durer 2 ou 3 secondes. Je me dis que s’il ne m’avait pas dit ça, je me serais précipité et se précipiter c’est peut-être perdre effectivement en impact.

Un des gros pièges de la négociation c’est la précipitation. Quand on se précipite sur une pièce de théâtre, on appelle ça bouler son texte, on boule, on boule, on ne joue plus, on oublie le public et la pièce n’est pas bonne, on passe à côté. Prendre ce temps-là c’est aussi prendre un petit temps pour se remettre bien dans son rôle, c’est peut-être qu’on est aussi un petit peu décalé parce qu’il y a du stress, c’est normal.

J’en viens à une question par rapport à ce temps de silence qui va m’amener sur un autre univers que tu connais bien parce que j’imagine que tu ne joues pas de la même manière au théâtre et à la télé. On a la chance pour certains de te voir sur des chaînes comme M6, est-ce que tu veux parler du programme très rapidement ?

J’ai eu la chance de tourner dans différentes séries de TF1, France 2, M6, des séries comme InfidèlesLa promesse, Le crime vous va si bien, Scènes de ménage aussi. Là, j’ai tourné dans un très beau film qui s’appelle Tempête. C’est un film de Christian Duguay qui avait fait le film Jappeloup et c’est un film qui va sortir en 2022 je pense. C’est un très beau film avec Carole Bouquet, Danny Huston, Pio Marmaï, Mélanie Laurent, c’est une très belle expérience.

Vu tu n’es pas de la même manière sur une scène au théâtre et à la télé, tu vas vite comprendre ma question. On ne négocie pas de la même manière en visio et en face-à-face. Ce qui m’a amené à cette question, c’est que le silence n’est pas perçu de la même manière en visio et en face-à-face. Autant en face-à-face tu peux te permettre des silences assez longs parce que la personne va comprendre que tu réfléchis ou que tu invites à la parole, autant en visio, le silence c’est : « tu m’entends Hubert, on a été coupé, qu’est-ce qui ne va pas », quelles sont les 2/3 astuces que tu pourrais nous donner pour mieux négocier en visio ?

J’ai vécu une expérience incroyable un jour parce que j’animais un groupe de formation en visio et un des participants a eu cette phrase incroyable et a dit : mais le problème en visio, c’est qu’on ne se voit pas. J’ai trouvé ça génial. J’ai dit : j’aimerais qu’on s’arrête sur cette phrase parce qu’elle est quand même pas mal. Je comprenais ce qu’il voulait dire derrière, il parlait de ce contact donc tu parlais là. Pourquoi je raconte ça ? C’est parce que la clé est dans le regard. Quand on est en physique, on a les 5 sens plus éveillés. Bien sûr on a l’ouïe et la vue, mais l’odorat peut aussi être plus éveillé, un parfum par exemple, le toucher aussi peut être plus éveillé si on se serre la main alors qu’en visio, on ne l’a pas. La visio nous oblige, et pour moi ce n’est pas négatif, à nous concentrer sur ces 2 sens que sont la vue et l’ouïe. Ça nous oblige à être beaucoup plus attentifs à nos regards : comment je regarde l’interlocuteur à travers la caméra et comment je regarde mon interlocuteur dans la fenêtre qui s’affiche, qu’est-ce que je vois de mon interlocuteur, s’il est assis ou debout. Au cinéma ou en télé, même s’il y a des gros plans, des plans larges, des plans paysage, il y a plus souvent des plans américains ou des plans serrés donc ça veut dire qu’on nous demande de jouer beaucoup plus sur le visage et notamment sur le regard, alors qu’au théâtre, c’est tout le corps qui va être engagé parce que tous les membres vont être utilisés, la voix va être plus projetée aussi alors qu’au cinéma ou à la télé, on est microté.

La caméra enferme un instant d’une certaine manière. On pourrait presque aborder la négociation en visio comme une scène c’est-à-dire que dernière moi, j’ai mis en place ce que je voulais montrer et ne pas montrer : est-ce que je me filme dans ma chambre, dans mon salon ou dans mon bureau ? Qu’est-ce que je mets derrière moi ? Est-ce que j’ai rangé ? Est-ce que je suis habillé ? C’est intéressant aussi la caméra parce qu’elle est en face de moi, mes 2 écrans sont sur le côté, si je regarde ton visage, je ne regarde plus la caméra, si j’ai un Powerpoint ou un Excel parce que j’ai des chiffres, je ne regarde plus la caméra, donc est-ce que je dois mettre la caméra au-dessus pour être sûr d’avoir un regard ? Qu’est-ce que tu recommandes et qu’est-ce que tu recommandes en matière de scène, de théâtralisation et qui se prépare une fois de plus en amont ?

Toujours. Là tu aborde la notion de mise en scène. Il faut se mettre en scène. Dans le rôle que j’ai, qu’est-ce que je montre de moi et qu’est-ce que je montre du rôle que je veux avoir vis-à-vis des interlocuteurs qui m’écoutent ou qui qui me regardent ? Il y a une notion de mise en scène. La mise en scène est évidemment très subjective, c’est là que c’est intéressant parce que si la mise en scène est assez bateau, on va passer à côté de notre effet. La mise en scène doit être pensée en termes de décor, de luminosité, en fonction de ce que je veux que l’autre voie.  Qu’est-ce que l’autre va voir ? Il y a une règle que j’aime bien qui est celle des 3 tiers. Au cinéma, on coupe l’écran en deux lignes horizontales et 2 lignes verticales, ce qui fait 9 carrés égaux. A l’intérieur, tu as 4 points de contact qui sont les 4 points de jonction, c’est ce qu’on appelle les 4 points de force et c’est là ou l’œil du spectateur se fixe, principalement d’ailleurs sur les 2 points du haut. Ça peut paraitre bête mais ces points de force sont importants. Où est-ce que vous placez votre caméra ? Il faut que vos yeux soient à peu près sur la ligne du haut de ce morpion parce que c’est ça qui va vous permettre d’attirer l’œil. Le décor, choisissez-le cohérent avec ce que vous voulez montrer.

On voit sur que nos caméras à nous, on a vraiment 2 plans qui sont complètement différents. Toi, tu es vraiment sur un gros plan, moi sur un plan un peu plus large et pourtant notre ligne des yeux est au même niveau.

C’est exactement. C’est important et par rapport à ce que tu me demandais en termes de tips pour une visio, il y a aussi les mouvements de regard. Moi ils ne me dérangent pas, il y a quelque chose de naturel et de vivant, c’est plutôt ce questionnement : comment j’arrive à garder le contact visuel avec l’autre ? Je peux bouger le regard mais je ne perds jamais le contact avec l’autre.

Je peux bouger mon visage mais il faut que mes yeux regardent dans la même direction. Petite anecdote, je te l’avais dit, il y a 2/3 semaines j’étais à Neuilly-sur-Seine avant une formation pour un cabinet de conseil. J’avais un peu d’avance donc je prends un café en terrasse et le directeur commercial d’une grande enseigne de luxe en électroménager que je croise par hasard me parle de toi. On l’avait accompagné sur une formation online et il m’a dit : on a retenu ce conseil de Hubert, on l’applique dans toutes nos négos, ça cartonne et le tips que tu leur avais donné c’était de faire des visios en étant debout à certains moments. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus dessus parce que je trouve que l’idée est vraiment géniale. On voit même qu’il y a des entreprises qui font des tapis de marche avec un bureau en hauteur, tu continues à marcher, tu as un rythme, tu es debout, il y a plein de choses à faire avec son corps et la caméra ne retransmet que la partie haute. Pourquoi tu leur avais donné ça comme conseil ? 

Je ne veux pas en faire une règle parce que quand je regarde un film ou une pièce, je n’ai pas envie de voir quelqu’un qui est comme ci ou comme ça, j’ai envie de voir quelqu’un qui est à l’aise dans ce qu’il fait. Je suis content que ça ait parlé à certains. Si je le fais quand j’anime des formations, des coachings ou autre, c’est parce que je suis à l’aise comme ça, c’est ça qui me permet de bien jouer le rôle.

Et on en revient à la façon de s’habiller. Tout à l’heure tu disais qu’il faut être à l’aise.  

Bien sûr. Qu’est-ce qui fait que là – et ça rejoint ce que tu disais tout à l’heure aussi – j’assume d’être comme ça, j’assume d’être en jean ? C’est parce que c’est moi et ça ne remet évidemment pas en cause quoi que ce soit, ça n’envoie pas de signal particulier, c’est juste que c’est moi. Ce que j’aime dans le fait d’être debout, parce que c’est ma méthode, c’est que ça me permet de plus utiliser mon corps que si j’étais assis. On sait qu’à distance, l’animation demande pas mal d’énergie pour créer de l’énergie en face, donc ma méthode était de dire : je vais me mettre en énergie et peut-être qu’eux ça va leur donner de l’énergie et me mettre en énergie, ça a été de me mettre debout. Après, s’il y a des gens qui sont plus à l’aise assis, ça ne me choque pas, je pense qu’il y a des choses très intéressantes à faire assis. Ce qui est important dans tout ce qu’on se dit là, pour qu’un jeu d’acteur sur scène ou en négociation soit intéressant et efficace, il ne faut pas qu’il soit figé ou dogmatique : un négociateur ne doit pas se mettre assis, je n’en sais rien moi, un négociateur doit aller chercher en lui ce qu’il va lui permettre d’être pleinement dans son rôle et pleinement dans la création de valeur.

C’est exactement ce que tu dis depuis le début. Je trouve ça génial parce que je ne voyais pas du tout ça comme ça sur l’acting. Si je comprends bien l’échange qu’on a, être acteur c’est être responsable de ses actes et être authentique dans un rôle, c’est choisir dans les différentes facettes qu’on a à disposition celle avec laquelle on est le plus à l’aise à l’instant T pour répondre à un objectif qui peut nous être donné par notre mandataire ou notre N+1 mais le fait de jouer un rôle ne nous empêche pas d’être authentique. Et, que ce soit en négociation ou en visio, si j’extrapole ton propos, ça veut dire que si je ne suis pas à l’aise avec mon décor, je peux mettre un arrière-plan, je peux flouter, si je suis plus à l’aise debout, à la bonne heure ! Si je suis plus à l’aise debout, à la bonne heure ! Si je suis plus à l’aise à négocier à l’extérieur dans mon jardin, à la bonne heure ! Le seul truc c’est qu’il faut que je sois pleinement là d’abord si je veux être pleinement disponible pour l’autre ?

Tu as utilisé un mot qui est extrêmement important, c’est choisir. J’invite tous les gens qui nous écoutent à regarder cette interview de Bryan Cranston, le héros de Breaking Bad, qui explique qu’on ne peut pas rater un casting. Pourquoi ? Parce qu’un casting – c’est un peu provoc – c’est simplement un moment où tu fais une proposition de jeu en fonction de ce que tu veux, de ce que tu es et de ce que tu as envie de proposer et si tu n’es pas pris, ce n’est pas que tu n’as pas été bon, c’est que ta proposition ne correspond pas à ce qui a été envisagé, c’est autre chose mais ça ne t’appartient pas. C’est ça que j’aime bien dans cette notion d’acting, c’est qu’il y a la fois une liberté totale et en même temps une énorme responsabilité.

Et est-ce que l’audace, cette capacité à oser, ce n’est pas cette capacité à choisir ? 

Bien sûr. J’ai cette phrase que l’on m’a dite et que j’aime beaucoup parce qu’on dit toujours que choisir, c’est renoncer, quand on te dit ça, ça n’aide pas à choisir, on m’a donné une définition que je trouve intéressante : choisir, c’est décider d’une destination et ce n’est pas déterminer une finalité. Choisir c’est déterminer un chemin, je prends ce chemin-là.

Et que tu peux adapter, dans ta négociation ou dans tes différents rounds de ta négociation.

Oui parce que c’est comme la création de valeur, au bout d’un moment, on se dit : tiens, je n’aurais pas imaginé sortir de ma négo avec ça mais dans les différents rounds qu’on a eus, il s’est dégagé ça, on a créé ça ensemble, on s’y retrouve et ce n’est pas inintéressant. C’est ça aussi la création de valeur, choisir ça. Donc tu fais bien d’insister sur le choisir d’ailleurs.

J’ai eu la chance de rencontrer des gens assez fantastiques à Lorient, des anciens des forces spéciales marines, chez Pegagus, une entreprise qui est fantastique. Dans leur salle de débriefing, il y a une phrase qui est « prière de ne pas subir », donc tous leurs retours d’expérience, ils les font là-dessus. Dans l’inconscient collectif, moi le premier peut-être, je pensais que l’acteur subissait son texte et son rôle, mais bien au contraire, ce n’est pas du tout ce que tu dis. En fait l’acteur est la personne qui choisit ce qu’il a envie de montrer et donner et le négociateur qui va avoir son rôle d’acteur ne subit pas la négociation, il choisit la facette la plus adaptée pour répondre à son objectif, c’est ça ?

Bien sûr, c’est pour ça que les grands acteurs jouent énormément de choses et sont géniaux dans tout. Depardieu est génial dans énormément de rôles, on aime ou on n’aime pas, parce qu’il est à la fois capable de jouer un flic truand dans les films d’Olivier Marchal, qu’un analphabète dans un film de Jean Becker, La tête en friche. Pourquoi ? Parce qu’il choisit, il s’immerge totalement dans le truc, il y va à fond, totalement libre et avec l’envie de s’amuser aussi, dans le bon sens du terme, ce n’est pas puéril, c’est dans le sens je joue, dans le premier sens du terme.

C’est vraiment passionnant. Ça donne un autre regard sur les notions d’authenticité, d’acting, de congruence, de choix. Merci pour cet éclairage Hubert. J’ai une dernière question que j’ai l’habitude de poser à tous mes invités, si le Hubert d’aujourd’hui devait rencontrer le Hubert quand il avait 20 ans, quel est le conseil que tu lui donnerais s’il te plait ?

Continue. Pourquoi je dis ça ? Parce que je sens que je suis sur un chemin. La vie est un éternel chemin avec plein de découvertes, de nouveautés, de surprises, des hauts et des bas et donc continue sur ton chemin, trace ta route.

S’il n’y avait pas eu ces hauts et ces bas, le Hubert d’aujourd’hui n’existerait pas donc continue. C’est ça ?

Bien sûr, on a besoin de la nuit pour voir le jour.

Merci beaucoup Hubert pour ce retour d’expérience, c’était passionnant !

Merci à toi et puis j’engage tous les uns et les autres à s’amuser en théâtre, dans les cours amateurs s’ils le souhaitent, parce que ça les aidera de toute façon dans leur vie personnelle et professionnelle.

Absolument et qui ose gagne pour une reprendre encore une phrase militaire mais qui est vraiment le crédo de l’institut Néra. Merci beaucoup Hubert. On se retrouve dans 2 semaines pour un nouveau podcast de Pourparler, le podcast de la négociation, merci beaucoup !

 

 

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