Comment décrypter le bodyspeaking pour mieux négocier ? Jean Pierre Veyrat

Bonjour à tous, je m’appelle Julien Pelabere et je suis négociateur professionnel. Mon métier est de former, accompagner et assister des entreprises et organisations à la conduite de leurs négociations les plus sensibles et les plus complexes. Bienvenue dans Pourparler, le podcast de la négociation. Notre ambition est simple : vous donner des clés pour mieux négocier, mieux négocier pour un meilleur futur professionnel et personnel. Aujourd’hui, j’ai la chance d’accueillir Jean-Pierre Veyrat dans Pourparler, bonjour Jean-Pierre ! 

Bonjour !

Comment allez-vous ?

Très bien. Très bien.

Je suis extrêmement heureux de vous accueillir sur ce podcast. Ça fait maintenant quelques années que l’on est en contact.  

Ça oui, ça fait déjà un certain temps.

On échange régulièrement sur la négociation et sur un peu plus. Vous allez vous présenter dans quelques secondes, mais c’est vrai que vous avez un parcours qui est assez incroyable et des ouvrages atypiques dans le monde de la négociation, et j’ai toujours pris énormément de plaisir à vous lire, parce qu’il y a un petit quelque chose différent. Là, vous êtes en train de sortir votre troisième ouvrage, mais on reviendra très rapidement sur les deux premiers ouvrages, qui pour moi sont assez incroyables. Jean-Pierre, est-ce que vous pourriez vous présenter pour les gens qui ne vous connaissent pas encore s’il vous plait ?

Oui, volontiers. Je m’appelle Jean-Pierre Veyrat, je suis dans le conseil en formation avec deux spécialités : tout ce qui est négociation conflictuelle ou en contexte dégradé et tout ce qui est analyse du comportement observable. Ce sont mes deux champs d’intervention, qui sont déployés dans de multiples formations, soit en négociation et en médiation, soit, pour le comportement, sur des analyses poussées, des observations de comportements dans des situations particulières, ici ou là, je viens d’ailleurs de terminer la formation des train marshalls de la sûreté ferroviaire sur les observations en milieu sensible, sinon je fais des analyses dans des communications, dans des interventions.

Train marshalls ?

Pour la sûreté ferroviaire. Ce sont des hommes, qui, depuis le Thalys, ont été formés pour intervenir dans les trains, les TGV et les gares. Ce sont les embarqués que vous voyez maintenant se déployer.

Super. En plus je crois que de temps en temps vous partagez votre travail avec la gendarmerie également, c’est ça ?  

Oui, oui.

Passionnant. Les deux premiers ouvrages, on peut en parler, il y a TINA, qui est votre référentiel de négociation et c’est ça que vous partagez au plus grand nombre, un des rares ouvrages sur ce positionnement de négociation conflictuelle que j’ai trouvé passionnant, qui plus est écrit par un Français, ça c’est encore plus agréable. Je trouve que le travail que vous aviez mené sur TINA est très intéressant, si vous pouviez nous en dire quelques mots.  

Oui, en fait TINA est venu d’une réflexion à propos de la négociation raisonnée, qui est en fait le fondement de toute formation à la négociation et avec les 4 principes de Fisher et Uri sur séparer la forme du fond, de la querelle des personnes, etc. J’ai été interpelé par le fait que cette négociation raisonnée, de l’avis même de ses auteurs, ne peut pas se déployer lorsque le jeu n’est plus un win-win, avec respect de l’adversaire, et donc que la méthode échappait dès lors qu’il y avait maximisation des gains. Et c’est là que j’ai déployé TINA, ne serait-ce que dans la grande distribution où le win-win n’est pas vraiment le cœur du sujet, et dans beaucoup d’interventions, en particulier, pour ce que l’on appelle au GIGN le comex d’otages.

Oui, tout à fait, parce que quand on disait gendarmerie tout à l’heure, c’est que vous avez partagé votre travail avec le groupe.  

Oui, je continue d’ailleurs régulièrement à former des négociateurs dans ce domaine.

Passionnant. En parallèle, en complément de ça, il y a un ouvrage, votre Atlas, qui est assez incroyable à lire, parce qu’il y a des planches, c’est très visuel. Moi, je ne suis pas un expert sur ce sujet, la partie visage, émotions, je me suis formé chez certains, on ne citera pas de nom, Paul Ekman et d’autres, mais je n’ai pas cette expertise comme vous et j’ai trouvé que c’était extrêmement bien fait. Très joli !

En fait, l’Atlas est venu aussi d’un travail de fond, d’abord sur des portraits robots, ensuite sur l’analyse des émotions, où j’ai décidé de passer au crible l’ensemble des muscles du visage avec leurs correspondances au niveau des expressions, des émotions et des mimiques, et puis j’ai été sollicité par Lancôme pour travailler sur les évolutions du visage étant donné que le visage a plusieurs évolutions, d’abord, une première évolution qui est évidemment le vieillissement génétique, ensuite il y a ce que l’on appelle un vieillissement climatique et puis j’ai développé le vieillissement historique, c’est-à-dire lorsqu’un individu, du fait d’une émotion répétée, inscrit une ride sur son visage, et donc j’ai travaillé sur ces deux plans. L’Atlas est donc devenu l’ensemble des travaux sur les expressions du visage et les évolutions du visage.

D’accord et dans cette continuité, l’ouvrage dont on va parler aujourd’hui, et vous allez nous donner un peu des conseils, c’est cette notion de body speaking, j’ai l’impression que c’est un peu une anthologie de tout votre travail.

Oui, disons que c’est vous tous qui m’avaient amené à rédiger ce livre. L’Atlas est un ouvrage très technique, qui en fait était essentiellement sur la face. Il y a très longtemps que je travaille sur l’ensemble de la personnalité avec une méthode que j’ai fournie en 1983, qui est l’analyse morpho-gestuelle. L’analyse morpho-gestuelle a été fondée pour analyser toute l’exploration de la personnalité et depuis 83, je m’intéresse non pas à la gestuelle telle qu’elle est fondamentalement enseignée, mais à une gestuelle qui était pour moi le chaînon manquant, c’est-à-dire l’ensemble des mouvements récurrents de quelqu’un, qui renvoient non plus à une attitude mais à un comportement. J’en suis donc venu à considérer qu’il y avait en fait, dans la gestuelle, deux gestuelles. Celle qui parle pour nous, celle que nous faisons tout le temps et qui est analysée ne serait-ce que par vous avec une profondeur et une pertinence incontestées, et puis j’ai travaillé sur la gestuelle qui parle de nous, de vous, c’est-à-dire celle qui est en fait la signature corporelle de chacun d’entre nous. Pour la distinguer du body language, qui est en fait le concept général, j’en suis venu à créer le concept de body speaking, qui est, dans le body language, le body language personnel de chacun, et ce body speaking est devenu la clé méthodique de l’analyse d’une personnalité à travers plusieurs situations où elle s’exprime tout à fait naturellement.

C’est vraiment ça, une clé méthodique. C’est ce que je vais retenir, parce que votre ouvrage est une vraie méthode d’analyse de ce body speaking, très intéressant. Quand je l’ai reçu en main, je n’avais pas trop compris la couverture et en rentrant dans le livre, ça a paru comme une évidence, c’est-à-dire qu’on commence avec un niveau assez macro, cette notion de première expression sur laquelle vous allez assez loin – c’est un ouvrage très technique, donc assez intéressant pour le coup – et puis on va sur cette notion de contact, de communication, de rapport à l’autre, et plus on lit l’ouvrage, plus on se rapproche d’une certaine manière du visage de son interlocuteur.  

Oui, alors il est évident que le body speaking ne peut pas être décortiqué par quelqu’un en une seule fois. Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire que lorsque j’ai quelqu’un en face de moi et que vous avez quelqu’un en face de vous, la première chose qui vient, c’est la première impression inévitable, donc, de cette première impression, qu’est-ce qu’on en tire, qu’est-ce qu’on en fait, en quoi faut-il s’en méfier, quand est-ce qu’elle est pertinente, avec 2 aspects, la présence de quelqu’un et ensuite sa consistance. Une fois que cette première impression a été faite et dépassée, on en vient au contact. C’est-à-dire que maintenant, on a quelqu’un qui brusquement s’approche de nous et donc là, on a d’abord le contact visuel, la personne nous regarde et après nous avoir regardé, elle exprime une mimique d’accueil ou de non-accueil, d’indifférence… Ensuite, évidemment, elle s’approche de nous, donc elle a une posture, qui nous fait savoir si elle reste à distance ou pas et enfin, même avec le Covid, on a un contact tactile, ne serait-ce que par le jeu des poings (11’07). Ceci étant fait, dans tout contact vient la notion d’introversion et d’extraversion, qui est une clé pour n’importe quelle personne que l’on voit au premier contact, et qui est d’ailleurs le premier stade, parce que très souvent incompris. Une fois que ce contact est fait, la personne se met à parler bien sûr, donc on en vient à analyser sa manière récurrente d’adopter toujours les mêmes manières d’émettre des messages. Et là, j’en suis venu aux états du moi de l’analyse rédactionnelle (11’43), qui est une clé incontestée et qui continue à être quand même très utilisée. Ceci étant fait, évidemment, pas au même instant, ce qui est intéressant maintenant, c’est le rapport à l’autre, parce que comme on dit dans le recrutement, on peut avoir quelqu’un qui fait bonne impression, quelqu’un qui a un très bon contact, quelqu’un dont la communication est vraiment fluide, donc on dit : « c’est bon, on le prend », et puis on vous dit : « on voit que tu n’as pas travaillé avec lui », ça veut dire qu’on a des gens que l’on a trouvés très sympas et lorsqu’on les a dans le rapport à l’autre, on change totalement d’avis, dans le bon ou le mauvais sens. Là, on a en effet l’estime que la personne porte à elle-même et à l’autre et comment se passent les relations. Ceci étant fait, lorsqu’on découvre quelqu’un, on a aussi toujours son rapport au conflit. Il y en a dont on voit une détestation du conflit, un évitement du conflit, d’autres qui sont très conflictuels voire un peu caractériels, donc on a maintenant comment un individu aborde une situation qui le contrarie et je termine cette approche du body speaking par l’analyse de son vécu : est-ce qu’il est marqué, pas marqué, donc voici les situations qui ont été choisies.

Top, vraiment intéressant. C’est vraiment très complet. Quand je l’ai lu cet ouvrage, très honnêtement, j’ai été submergé par tout ce qui est contenu dedans et je pense qu’il faut beaucoup de temps pour assimiler ce contenu. J’ai bien aimé, peut-être parce que c’est plus simple d’accès pour moi, cette première partie sur les premières impressions et cette question : est-ce qu’il faut croire à la vertu de cette première impression ? Et je vous pose la question Jean-Pierre, parce que pour le coup, c’est ce que vous avez dit, on peut avoir une première impression qui est fausse ou pas aussi précise que souhaitée, et c’est quelque chose qui peut être mis en avant.  

Évidemment, la première impression est inévitable. Je peux avoir fait 20 ans d’analyse du comportement, je reste sensible à la première impression, surtout qu’elle peut largement influencer ce que nous appelons nous « spécialistes » l’effet de halo, c’est-à-dire qu’on nous a dit que c’était quelqu’un de très bien, déjà, nos yeux sont ouverts pour confirmer une bonne impression. Cette première impression est évidente. Il y a des gens qui nous font une excellente première impression, parce qu’ils présentent bien, mais après ils ont moins de consistance. Il y en a qui ne nous font pas bonne impression et on est très surpris de les rencontrer après. Cette première impression est d’autant plus essentielle que nous entrons en période d’élection présidentielle, puisqu’on sait très bien que les gens qui regardent la télévision n’écoutent pas ce qui est dit, ils regardent la personne : « oh regarde comment elle est, tu as vu comment elle est, ah je ne l’imaginais pas comme ça, qu’est-ce qu’il fait vieux, qu’est-ce qu’il fait bien » et ils en restent là. C’est donc quand même assez incroyable, parce que l’on se fie à des premières impressions qui peuvent être désastreuses, parce qu’on n’a pas cherché à savoir.

Oui, qui n’ont aucune raison logique d’être exactes. C’est ce que vous dites, cette première impression, c’est un a priori.

 La première impression est pertinente lorsque la personne présente un comportement qui est quand même très inapproprié par rapport à la situation. Si je vais à l’hôpital et qu’un interne me reçoit avec une blouse dégueulasse, j’ai une mauvaise impression, celle-là, elle est justifiée, je peux dire que quelque chose ne colle pas. Je dois voir quelqu’un qui arrive avec trois quarts d’heure de retard sans s’excuser, ma première impression est mauvaise évidemment et de toute façon, il faut bien se dire que cette première impression est vraiment le socle de toutes les relations pour tous ceux qui rencontrent quelqu’un. Cette première impression est très affective et il est difficile de faire quoi que ce soit contre ça, maintenant, si on ne va pas plus loin, c’est quand même ennuyeux

Je comprends. Et après cette première impression, c’est ce que vous disiez tout à l’heure en présentant un petit peu votre travail, on a cette prise de contact, que vous avez divisée en 4 temps assez intéressants, avec un contact qui est oculaire, qui est facial, qui est postural et qui est tactile dans certains contextes. Est-ce que vous pourriez nous dire de quoi on doit se méfier dans cette prise de contact et sur quoi peut-on faire un focus d’attention pour éviter de se tromper dans ce regard qu’on va porter à l’autre ?

Ce premier contact est essentiel dans certaines activités, en particulier pour les commerciaux qui ont à faire de la prospection, à rencontrer un client pour la première fois. La manière dont ils vont figer leur jugement et leur démarche par rapport à la manière dont la personne les a regardés et aussi dont ils ont regardé la personne, suivant s’ils ont une expression faciale accueillante ou pas, etc., donc de ce côté-là, le contact est très important et doit être travaillé.

Comment est-ce qu’on travaille ce premier contact, parce que ça dépend de l’autre aussi ?

Ça dépend de l’autre, mais ça dépend aussi de la manière dont je conçois le contact, dont je me positionne. Il y en a dont on dit : « il faut que tu donnes bonne impression », et moi j’ai envie de dire : « il faut que tu donnes bon contact ». On le sait et on en parle sans arrêt pour Chirac, il avait un contact extraordinaire, qui lui permettait d’aller partout, il était à l’aise avec tout le monde et il y a des hommes politiques, lorsqu’ils ont des contacts avec les autres, on les voit crispés, figés, ils ne savent pas maitriser ce contact en fait, parce qu’ils ont peur de l’autre, et le contact est d’autant plus développé que j’ai compris le signal qu’était un contact, en quoi il était important et aussi comment je ne devais pas me tromper devant des personnes qui ont un contact difficile au début, parce que timides, parce que méfiants, c’est pour ça qu’il y a 4 contacts. Je ne dois pas m’arrêter simplement au fait qu’il m’a regardé de manière suspicieuse, je dois regarder aussi la manière dont la mimique détend le visage et dont il se met brusquement à l’écoute de l’autre.

Est-ce que vous auriez 2-3 astuces ou règles que l’on pourrait utiliser pour maitriser ce premier contact, peut-être sur ce contact oculaire qui doit, je ne sais pas, ne pas être fuyant, sur ce contact facial qui doit être ouvert ou sur ce contact postural qui doit être avenant vers l’autre ?

 Disons qu’il faut quand même savoir que le regard a pour fonction fondamentale la reconnaissance de l’autre. Il est fait pour ça. C’est pour ça que l’on dit : « il n’a eu d’yeux que pour elle, tu aurais pu me regarder quand je te parlais. » Le contact va être essentiellement cette reconnaissance de l’autre. Je dois donc apprendre, en tout cas dans mon contact, à regarder l’autre. Il y en a qui regardent ailleurs, qui regardent furtivement, il y en a qui, même quand ils vous disent bonjour, on a l’impression que l’on est transparent, donc c’est comment je fais en sorte d’avoir au moins un regard de l’autre, qui est un regard d’attention.

Il faut une intention d’attention.

D’attention. En fait, c’est comment est-ce que je montre l’attention que je porte à l’autre à travers mon regard et ne pas oublier que ce regard est d’autant plus essentiel qu’aujourd’hui, avec ces deux ans de Covid et de masques permanents, le regard est la seule chose qu’il nous reste pour un contact, une création de contact avec l’autre.

Je comprends. Donc première chose, contact, c’est un contact qui est visuel vers le regard et j’imagine, mais vous le mettez dans le livre, que ça doit suivre par ce visage.

C’est suivi du visage, parce que le regard, j’ai repéré l’autre, maintenant qu’est-ce que je fais ? Quelle émotion je lui montre ? Que je suis content de le voir, que je suis intrigué de le voir ? Je dois donc quand même avoir la maitrise de l’émotion que je veux avoir envers l’autre et, normalement, dans la plupart des cas, mon contact doit être un contact d’accueil, sauf si je veux avoir un contact qui montre un mécontentement, mais en tout cas, mes mimiques doivent être en phase avec l’émotion que je veux transmettre à l’autre.

D’accord, donc il faut être conscient de son intention et ce que vous disiez, c’est que pour maitriser ce premier contact, sauf mécontentement, donc un historique négatif si je comprends, il vaut mieux avoir un contact direct, un visage ouvert pour « sourire chaleureux » comme vous le nommez.  

Facialement, il faut que j’aie un contact qui soit en tout cas sincère. Il y a beaucoup de contacts qui sont faux, on le voit bien. La personne vous accueille avec un large sourire alors qu’on sait qu’elle n’en pense pas un mot. Le contact doit vraiment être facialement l’émission du signal émotionnel de ce qui va suivre.

Passionnant, top. Et après, vous l’avez en souligné en introduction, on va avoir deux types de personnes et il va falloir y faire attention, ce sont les personnes plutôt extraverties, introverties. On trouve beaucoup de définitions assez différentes là-dessus, est-ce que vous pourriez préciser ce que sont l’introversion et l’extraversion ?

Alors, j’ai beaucoup travaillé là-dessus, j’ai d’ailleurs mis du temps à faire les descriptions les plus complètes possible, parce que réellement, le problème est là. L’extraverti est quelqu’un qui est tourné vers les autres. Ce sont des prédispositions qui peuvent ensuite être développées ou contrariées, et donc, par prédisposition, on a soit un rapport à l’autre, soit un rapport à soi-même. On le voit d’ailleurs déjà chez les enfants tout petits. Au bout d’une journée à l’école, l’extraverti a des copains, l’autre, au bout d’une semaine, il arrive à commencer à en avoir un. Quelques fois, l’extraverti ne supporte pas l’introverti qu’il considère comme ne parlant pas, n’étant pas intéressant, ne disant rien, etc., et il oublie la richesse absolue de l’introverti. Ce qui est frappant, c’est que culturellement nous ne cessons de mettre en avant les extravertis et quand vous allez dans les librairies, sur l’extraverti, pour trouver un livre, il faut déjà chercher, sur l’introverti, vous avez un rayon complet et chez nous, l’introverti est considéré comme un handicap, tandis qu’en Asie, c’est l’introverti qui est mis en avant et l’extraverti qui est un problème. Il y a donc une incompréhension qui coûte cher, en particulier dans les négociations où on a besoin de savoir où en est l’autre. L’extraverti, on a l’impression que ça y est, on sait comment il va faire, alors que très souvent il risque de changer d’avis deux heures après et l’introverti, qui ne nous a rien dit, peut être très profond alors qu’on l’a sous-estimé, ignoré et on est étonné de la solidité du lien d’un introverti.

Complètement, et ce que vous dites aussi, si j’ai bien compris, c’est que le fait d’être introverti n’empêche pas la personne d’avoir de grosses capacités orales.

Évidemment. Macron est un introverti, on voit qu’il se force, mais c’est un introverti, De Gaulle était un introverti.

Voilà, on peut être au centre de l’attention des gens, on peut avoir ce contact facile avec les autres, ce n’est pas comme ça qu’on va définir cette notion d’introverti, d’extraverti, et à l’inverse, on peut avoir un extraverti qui ne sera pas forcément très à l’aise.

 Exactement, on a des extravertis timides. L’introverti simplement est construit, il peut faire des discours extraordinaires, mais dans sa relation à l’autre, il se referme très rapidement. Il a besoin de réflexion, il a besoin d’être en lui-même, mais il faut aussi savoir que dès qu’il est dans son milieu naturel avec ses amis, il ressemble comme deux gouttes d’eau à un extraverti. Il faut donc faire très attention à classer trop rapidement : il est introverti, donc… Il est extroverti, donc… On a des surprises assez frappantes de ce côté-là.

Totalement. Après, toujours sur cette notion de contact, il y a une partie que j’ai trouvée assez intéressante, parce qu’originale, on la trouve peu dans la littérature, c’est tout ce qui est notion de morphotype, c’est-à-dire l’évolution du corps en fonction de ses traits de caractère…  

Les morphotypes sont un chapitre auquel j’attache beaucoup d’importance et qui est sans doute le plus contesté de toutes les approches que l’on a du comportement. C’est la plus ancienne, elle date d’Hippocrate. C’est qu’on considère qu’il y a une partie morphologique indicative d’un type de comportement et de prédispositions fondamentales. Ce tempérament est reconnu, on en voit maintenant l’enseignement en psychiatrie et dans des tas d’ouvrages donnés à des étudiants, la notion de tempérament est totalement remise à l’honneur aujourd’hui. Ce qui est très contesté, ce sont les types tempéramentaux. C’est-à-dire que le tempérament, il n’y a pas de discussion, c’est un ensemble d’humeurs, de prédispositions et le reste, mais j’ai considéré que dans beaucoup de cas, les types tempéramentaux sont une évidence. Par exemple, combien de fois dans le monde, je vois que l’on dit de quelqu’un qu’il est très sanguin, on l’a a toutes les sauces. Mais, il m’arrive en revanche d’avoir des gens devant moi dont le tempérament parait très incertain et je passe à autre chose, même si ça peut être une indication très intéressante d’un comportement général. En fait, la notion de morphotype vient compléter la notion d’introversion, extraversion, chaque fois que c’est possible, sinon on passe à autre chose, mais je considère que ce tempérament est vraiment très important

Pourquoi est-ce que vous dites qu’il est davantage contesté ? C’est par rapport à quoi ?  

Parce que beaucoup ne supportent pas cet aspect définitif de la personnalité. Or, il y a, si vous voulez, lorsque vous analysez la personnalité, c’est par ça que je commence quand j’ai créé l’analyse morpho-gestuelle, c’est que la personnalité a trois dimensions, elle a une dimension constitutionnelle, qui est d’abord notre sexe bien évidemment et puis le tempérament, qui sont un ensemble de données. Ensuite, on a une dimension institutionnelle, c’est la construction de la personnalité à travers l’éducation et la culture, et on a une troisième dimension, qui est la dimension évènementielle, c’est-à-dire tous les événements qui ont modifié la personnalité en bien ou en mal, un drame ou une découverture merveilleuse qui fait que la personnalité change d’orientation de manière très marquée.

En fait, il y a notre caractère, nos prédispositions, il y a la société, qui nous influence, et les événements de la vie, c’est ça si je comprends bien ?

 Exactement, ce sont les trois données, en sachant qu’il est intéressant de savoir, chez les uns et les autres, quel est le driver. Par exemple, nous savons très bien qu’il y en a pour qui le tempérament est vraiment le driver fondamental et il est très difficile de les faire changer de comportement, parce qu’ils sont colériques, parce qu’ils sont impulsifs, on a des joueurs, on a des footballeurs, on a des acteurs, on sait très bien qu’ils ont un comportement, une prédisposition aux réactions, qui ne change pas. Chassez le naturel, il reviendra au galop. Et puis, il y en a d’autres pour qui il est évident que l’aspect culturel ou l’aspect évènementiel reste l’élément essentiel.

Passionnant. Et puis après cette notion de morphotype, qui n’est pas si évidente que ça à apprécier, puisque vous dites qu’en fonction de la saison, une personne qui est emmitouflée ou avec un anorak, tout ça, ce n’est pas forcément évident d’aller de façon pertinente trouver cette notion de morphotype, et après il y a une partie qui est assez intéressante sur les mains, l’utilisation des mains, ce qu’on en fait et comment est-ce qu’on peut leur donner la parole d’une certaine manière.  

Oui, alors ça c’est l’aspect communication, mais pour revenir quelques instants sur le tempérament, il est frappant de voir le nombre de lympathiques qui donnent des négociateurs hors pair par leur résistance au stress, par leur stabilité émotionnelle et il y a des lymphatiques auxquels on n’a pas fait attention et qui ont quand même été très loin, donc c’est frappant de ce côté-là. C’est ça qui est intéressant quand on étudie les morphotypes, c’est de se rendre compte que dans la première impression, on attache trop d’importance à ceux qui font impression et on a tendance à ne pas faire attention aux autres, qui peuvent être tout à fait étonnants. Alors maintenant, il est évident que l’outil principal de la communication, c’est l’utilisation des mains, en sachant que je fais là une distinction très importante dans ce que j’appelle la gestuelle oratoire, qui a été très étudiée en politique – il y a des ouvrages d’auteurs du CNRS sur les gestes oratoires dans le discours – et puis il y a évidemment les gestes des ressentis émotionnels. L’importance du geste oratoire, c’est qu’on ne peut l’éviter. Vous avez des gens, vous les voyez même de loin dans la rue en train de téléphoner, par leurs gestes, vous savez ce qu’ils sont en train de dire, vous savez dans quel état ils sont.

Oui, c’est vrai. Ça, c’est culturel ?  

Non, les gestes oratoires, on les a partout, parce que la personne ne peut s’empêcher en parlant d’associer des gestes, d’imager, de marquer, tandis que les gestes de ressentis émotionnels sont ceux qui sont le plus analysés dans les discours pour dire que la personne est gênée, et j’avoue que je m’intéresse beaucoup à l’aspect émotionnel, au martellement de l’autre lorsqu’il parle. Alors là, évidemment, il y a entre nous des approches très distinctes sur la conviction dans la négociation, il y en a comme moi qui, en négociation, s’attachent aux gestes oratoires que fait l’autre, même s’il y en a peu, qui donnent déjà ne serait-ce qu’une esquisse de message, des clés. Je m’attache beaucoup à ça.

On peut avoir les gestes d’intention, il y a les gestes d’autocontact, est-ce que vous pouvez nous donner quelques précisions là-dessus ?

 Les gestes d’autocontact sont assez intéressants, parce qu’ils mélangent du ressenti et de l’oratoire, c’est qu’inconsciemment, lorsque quelqu’un est en train de réfléchir, il a des gestes dont il ne se rend pas compte. Par exemple, comme je le dis dans le livre, une chose que l’on voit très souvent, quelqu’un vient vous voir en disant : « Julien, j’ai une question à te poser » et la personne vient en se grattant la tête, ou alors la même personne vient en posant la même question et là, il se frotte le menton, et puis, deuxième point, il vient en se frottant la nuque et pourtant c’est la même phrase, et là, qu’est-ce que l’on a : le premier se creuse la tête, il n’a pas l’idée.

C’est même une image, c’est une expression se creuser la tête.

Le second est en train de se frotter le menton, parce qu’il est en train de se tâter sur la décision. On a d’ailleurs beaucoup de gens qui sont dans un magasin, devant l’objet et qui se frottent le menton, et on sait qu’ils sont en train de se dire : j’achète, je n’achète pas ? Raisonnable ou pas raisonnable ? Et puis on a évidemment la personne qui a une chose à dire, qui est déjà embêté de la réaction que vous risquez d’avoir et donc qui se protège la nuque. Ce sont des gestes d’autocontact.

Ah… ça, c’est intéressant ! Se frotter la nuque, c’est que je redoute la réaction de l’autre, c’est bien ça ?

Oui, écoutez, c’est bien simple. Si vous avez quelqu’un qui vient vous voir en disant : « Julien, je voulais te dire pour ta voiture » en se frottant la nuque, vous savez très bien que la voiture a un petit problème et qu’il craint que vous n’entriez en colère. Quand on a des gens qui viennent nous voir en se frottant la nuque, manifestement, c’est qu’ils sont très embêtés. On a là des gestes qui sont quand même très manifestes.

Alors, c’est un évaluateur mais c’est aussi un apaiseur de se frotter la nuque, ça me rassure ?  

C’est un apaiseur du coup que je risque de recevoir.

Là, les gestes des mains, vous les utilisez au niveau du visage effectivement dans la description, dans ces gestes apaiseurs, est-ce que ça peut être aussi comme on peut voir des fois des gens qui ont les mains jointes, qui vont se caresser la main en même temps qu’ils vont parler ?

Mitterrand se frottait les mains. Par exemple, je me souviendrai toujours, j’étais au Canada à la Sûreté du Québec et on était sur des tests sur le mensonge. J’ai été choisi par le panel des personnes qui devaient donner leur avis sur un homme assez âgé, suspecté d’attouchements sur les enfants. On nous passe un interrogatoire qui a été fait, on a demandé à 4 personnes de dire ce qu’ils en pensaient. Les 3 premiers ont dit qu’incontestablement il disait la vérité, qu’il n’avait rien fait, en disant : « je l’ai bien écouté, manifestement il est sincère ». Moi, je me pointe devant une assemblée quand même assez importante et je dis : « excusez-moi, mais moi mon métier, c’est d’observer et non pas d’écouter, je n’écoute qu’une dernière fois pour être sûr que le geste n’est pas un geste lié à un message oral, mais en tout cas, vu ce que je vois, il est certain que cette personne sait qu’elle a commis une faute ». Elle n’arrêtait pas de rouler de gros yeux et de se frotter la nuque comme s’il avait peur du coup qu’il allait recevoir, peur de la punition. Et là-dessus, le responsable de la police en grand uniforme est venu, a déroulé un papier, la personne venait d’être arrêtée, elle avait avoué qu’elle faisait des attouchements, mais je m’étais fié non pas à un geste de mensonge, mais à un geste de protection.

Oui, c’est-à-dire que ce n’était pas le manque de congruence entre ce qu’il disait et ce qui était véhiculé, c’était vraiment l’observation d’un comportement qui était dans une logique défensive.

Voilà, exactement, et je suis très souvent appelé pour des signes de gêne dans des aveux ou dans des enquêtes. J’ai travaillé avec la Délégation nationale à la lutte contre la fraude, j’ai assisté à des enquêtes à ce sujet et là, nous n’avons pas des gens qui mentent, nous avons des gens qui expriment leur malaise, qui expriment brusquement que quelque chose ne va pas, et c’est là qu’on s’attache à autre chose, il y a des gestes de tromperie, de dissimulation.

Je me dis, si j’avais été à la place de cette personne, dans le cadre d’un interrogatoire je précise, j’aurais pu aussi avoir ces gestes d’autocontact pour me rassurer, parce que c’est peut-être une première expérience.

Oui, mais on ne se rassure pas en se frottant la nuque, on se rassure en se frottant les genoux, en se mettant les mains sur le visage, en fumant. Les gestes d’autocontact, il y en a beaucoup qui, quand ils vous parlent, roulent une mie de pain, tiennent un stylo, ils ont des autocontacts de réassurance, vous en avez qui se frottent les yeux, font comme s’ils se lavaient le visage ou alors qui se grattent la main, qui ont beaucoup d’autocontacts, mais un autocontact de quelqu’un qui, brusquement, dans un moment de pression évidemment, de tension, se frotte la nuque, c’est qu’il sait qu’il a peur d’être frappé entre guillemets.

Oui, je comprends. Vous dites quelque chose qui est intéressant et qui pour le coup est généralement omis, c’est qu’il faut qu’il y ait un enjeu.

Bien sûr, sinon on ment comme on respire toute la sainte journée, ne serait-ce que pour dire à quelqu’un qu’on est content de le voir alors qu’on n’en pense pas un mot, dire que le plat qu’il vient de nous faire est exquis alors que… Simplement, avec la particularité que des hommes mentent souvent sur eux-mêmes et qu’on a remarqué que les femmes mentent sur les autres en disant : « Ah, tu as une robe ravissante ».

C’est un ciment social d’une certaine manière le mensonge.

Et les enfants ont besoin de mentir. Pour créer leur monde, ils ont besoin de mentir. Maintenant, il y a des mensonges qui sont faits pour aider l’autre. Par exemple, un petit garçon qui dit : « dis papa, tu crois que je vais réussir ? », vous êtes très inquiet, vous pensez qu’il a peu de chances, vous n’allez pas le lui dire, vous allez lui dire : « mais bien sûr que tu vas réussir ! », vous mentez avec affirmation pour lui donner confiance. Évidemment, quelqu’un très malade qui dit : « est-ce que je vais m’en sortir ? », on ne va pas lui dire non, donc le mensonge peut être salvateur.

Bien sûr. Il n’y a pas d’intention de nuire. Est-ce qu’on peut penser le mensonge comme la création d’une prophétie autoréalisatrice, un effet pygmalion ?

 

Exactement. Le mensonge a une fonction très importante, qui est étudiée par beaucoup, qui fait l’objet d’énormément d’études, et je sais que vous êtes très proche de ces études, c’est essentiel.

Il y a toute une partie qui est liée au conflit derrière, est-ce que vous pourriez nous en dire quelques mots peut-être ?

Alors le conflit étant dans le sens petit du terme, c’est-à-dire que je n’analyse pas des situations où il y a des conflits importants, on n’est pas au GIGN là, donc je parle de conflits domestiques classiques, avec la famille, il y a des gens qui sont dans l’évitement permanent, ils n’osent jamais dire ce qu’ils pensent, ils n’osent jamais dire que ça ne va pas, et j’ai eu vu plus d’une fois des gens, des négociateurs rompus au conflit, qui défendent les intérêts de leur entreprise bec et ongles, et quand un conflit leur tombe dessus et les concerne, être désemparés.

Ça, c’est vraiment intéressant. Quand on fait preuve d’empathie pour les autres, déjà, il faut faire preuve d’empathie pour soi et généralement, dans notre quotidien à nous, où on accompagne des entreprises ou des organisations dans la conduite de leurs conflits, on n’est pas totalement acteurs, on n’est pas impliqués émotionnellement de la même manière, et quand ça peut nous toucher, c’est plus compliqué.

C’est beaucoup plus compliqué et c’est pour ça que je vois des gens, qui ont été des négociateurs hors pair, qui prennent un avocat et n’osent plus intervenir lorsqu’il y a un conflit avec leur entreprise, c’est extrêmement frappant. Là, il faut une assertivité qui n’est pas donnée à tout le monde.

Je comprends. Quel conseil on pourrait donner à ces personnes-là, qui se sentent peut-être submergées par leurs émotions ou qui perdent le contrôle ?  

Le conseil que l’on donne n’est pas tellement sur les émotions, c’est sur les conséquences et leur implication. Le « quand dira-t-on » est quelque chose de considérable dans la gestion des conflits et les gens pensent à leur image, ils pensent à leur réputation, ils pensent aux représailles et donc ils n’osent plus bouger et très souvent d’ailleurs, ce n’est pas l’émotion qui va entrer en ligne de compte, c’est l’intérêt, c’est l’enjeu, c’est un raisonnement où j’évite et il vaut mieux se faire petit. On le voit par exemple très bien aujourd’hui, on voit quasiment une affaire par semaine de personnalité accusée de viol etc., et on se demande souvent pourquoi est-ce que les victimes ont attendu tant de temps et que les faits soient prescrits pour déposer plainte. C’est parce que là, elles n’ont pas à se mettre trop en avant, elles n’ont pas à donner des preuves, elles n’ont pas à s’impliquer trop, et donc il y a de ce côté-là aussi, la volonté de se protéger

Je comprends. En tout cas, c’est vraiment un ouvrage très intéressant dans sa globalité, parce qu’il apporte une clé de lecture. Alors, on n’a évoqué qu’une infime partie de l’ouvrage, vous parlez de la voix, vous parlez d’énormément de choses dans cet ouvrage, si vous aviez peut-être 2-3 conseils pour des gens qui voudraient derrière la lecture de cet ouvrage pouvoir commencer à appliquer cette observation active…  

Tout simplement, c’est que l’intérêt aussi de l’ouvrage tel que je l’ai rédigé, c’est qu’il peut être pris par n’importe quel bout, d’ailleurs, à la fin, il y a un important questionnaire, c’est-à-dire que je suis en train d’observer quelqu’un qui est en train de parler, je peux toujours commencer par quel est son comportement dans la communication, ou par exemple qu’est-ce que je dis souvent ? Dans le recrutement, il y a une chose qui est étonnement mise de côté, parce que justement, problèmes, etc., c’est la période d’essai. Le nombre de gens qui, parce qu’ils ont recruté quelqu’un, on a beau leur signaler pendant la période d’essai que quelque chose ne colle pas, disent : « non, on a eu assez de mal à le recruter, ça va passer », pour ensuite des complications sans nom. Donc j’ai quelqu’un en face de moi, j’en reste à ce que je vois, je ne vais pas chercher au-delà. C’est ça le conseil que je donne. Et c’est surtout apprendre à regarder, tout simplement à regarder, et le meilleur moyen d’apprendre d’ailleurs, c’est de passer certains films sans le son, c’est là qu’on voit qu’on a des acteurs qui sont inouïs de vérité et d’autres qui jouent comme des pieds. Hélas, en France, on a un cinéma où on a l’impression qu’ils viennent de découvrir le cinéma parlant. On est abreuvé de discours et on a par exemple les Anglais, ne serait-ce qu’avec le chef d’œuvre du Discours d’un Roi, on voit comment, par le jeu du comportement, on arrive à quelque chose d’extraordinaire.

Oui, c’est donc regarder différemment, et c’est vrai que s’entrainer avec des émissions de télévision ou des films, moi j’aime bien regarder des débats politiques en silence, en mute, parce que ça en dit long sur l’intention, et c’est une phrase d’Alphonse Bertillon que j’ai adorée, je l’ai prise en photo dans votre livre, que je trouve extrêmement pertinente c’est qu’on ne voit que ce que l’on regarde, on ne regarde que ce que l’on a déjà à l’esprit, et il faut faire attention à cette illusion.

 Oui, c’est la fameuse première impression. Par exemple, quand j’observe Poutine, qui est un introverti évident, il est très frappant de voir le regard et puis les deux mains sur la bouche en signe barrière, en observant. En revanche quand vous avez Boris Johnson l’extraverti qui ment comme il respire, qui est là, négociateur offensif hors pair… Par exemple, Vous avez dû voir que j’attache beaucoup d’importance à ce que j’appelle les menteurs d’attaque et les menteurs de défense, j’ai assisté à des auditions en police judiciaire où j’avais des menteurs d’attaque qui étaient tellement convaincants qu’on été sûrs qu’ils n’avaient rien fait quoi, et il y en a qui montrent des signes de gêne, on se dit qu’ils sont coupables. Nous n’oublierons jamais le cas de ce journaliste, homme politique, Dominique Baudis, qui transpirait comme une soupe, donc il était coupable, et qui en fait était totalement innocent, mais il était submergé par l’humiliation, la honte et l’indignation, et on avait retenu que ça.

Quelle est la différence que vous faites entre menteurs d’attaque et défensif ?

Le menteur d’attaque, c’est de ces menteurs, de ces hommes craints comme Boris Johnson et comme d’autres, qui sont d’une violence verbale et corporelle avec une authenticité dans la colère et l’indignation qui les submergent, qui fait qu’ils sont très crédibles, on ne peut que les croire. J’ai vu des gens se démener en disant : « c’est une honte, comment peut-on m’accuser », et c’est par l’analyse du discours qui montre que brusquement, il y a des failles, qu’il en dit trop, qu’on va, de ce côté-là le cas échéant, tirer qu’il y a quelque chose qui ne va pas, et puis le menteur de défense lui est quelqu’un qui a un discours très construit mais sa gestuelle est très courte, très protectrice, avec en effet cette non-convergence entre gestes et parole.

Passionnant.  

Mais je me suis beaucoup attaché aux menteurs d’attaque, parce que c’est ceux-là qui trompent le plus les gens.

Complètement et puis dieu sait qu’on en trouve. En tout cas, un ouvrage passionnant que Le body speaking décrypté, un grand merci pour ce retour Jean-Pierre. J’ai l’habitude de poser une dernière question en fin de podcast, si le Jean-Pierre d’aujourd’hui devait rencontrer le Jean-Pierre d’il y a 20 ans, quel est le conseil que vous lui donneriez à ce Jean-Pierre d’il y a 20 ans, ou même 30 ans pour vous, puisque vous êtes maintenant un homme plein de sagesse ?  

Le conseil que je lui donnerais, c’est déjà de se pencher beaucoup plus sur les comportements qu’il ne l’a fait au départ. J’ai beaucoup tâtonné. Au début, il y a des choses que je n’ai pas osé faire, parce que je pensais que c’était aller trop loin et heureusement, j’ai été très soutenu par toute une série de gens, qui par leurs conseils, leur soutien, leurs questions, m’ont ouvert les yeux, mais j’ai toujours eu comme guide l’Histoire, les hommes politiques et les gens avec qui je travaillais, donc voilà, et j’espère que beaucoup de ceux qui vont écouter ce podcast – et je vous en remercie – s’intéresseront à ce livre qu’ils trouveront sur Editions-Negorisk.com.

On va mettre les liens pour que les gens puissent se procurer l’ouvrage.

Et en tout cas, vraiment, merci de m’avoir accordé ce temps.

Merci à vous, déjà pour la qualité de la relation qu’on entretient maintenant depuis plusieurs années, pour les échanges qui sont toujours aussi intéressants Jean-Pierre et un grand merci de vous être prêté à l’exercice de Pourparler. Merci beaucoup !

Merci et bonne journée. Au revoir.

Merci et je vous dis maintenant à vous auditeurs, à dans deux semaines pour un nouvel épisode de Pourparler, le podcast de la négociation.

 

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