5 mantras d’un ex négociateur du GIGN – David Corona

David Corona, j’ai passé 12 ans au GIGN comme opérationnel dans un premier temps, et négociateur de crise en parallèle, et j’ai fini mon parcours au GIGN à la cellule nationale de négociation, qui gère notamment la formation des négociateurs du GIGN, la R&D dans le cadre de la négociation pour les nouvelles techniques et les nouveaux outils technologiques liés à cette spécialité, et qui gère de grosses missions comme les missions de terrorisme, d’enlèvements, d’extorsions de fonds, ransomwares, et les enlèvements de français à l’étranger.

J’ai quitté l’unité début 2020 pour monter une société avec Anne Gervaise, qui s’appelle In Cognita, dans laquelle on gère tout ce qu’on savait faire avant dans nos jobs, on les a rassemblés,  aujourd’hui on fait de la gestion et de la communication de crise, de la gestion opérationnelle, du management complexe, du profiling aussi, et on aide notamment les entreprises françaises à gérer les ransomwares.

 

Ransomware, c’est tout ce qui est cybersécurité
C’est ça, quand des hackers attaquent les PC de votre entreprise et que toute votre activité et vos datas sont bloqués et qu’on vous demande une rançon en échange, vous nous appelez et on vient vous prêter main-forte

 

et en parallèle un livre qui vient de sortir, négocier
Voilà, il est sorti le 11 mai, ça s’appelle négocier, et ça parle, pas seulement de négociation, ça parle du parcours d’entrée dans les unités spéciales, ça parle forcément de négociation au centre, et ça parle aussi de chemins de vie, d’émotions, de situations extrêmes de crise, et à la fin on y trouve aussi quelques mantras, quelques petits tips pour essayer de gérer des situations tendues dans notre quotidien

 

un livre qui retrace une partie de ton parcours de vie
C’est ça, autobiographique, et en même temps avec du recul, de l’analyse et un partage large pour toutes celles et ceux pour qui la négociation a un intérêt

 

 

on va partager 7 mantras que tu utilisais quand tu étais au groupe, que tu as structurés à ta sortie ?
Ça a été un chemin de vie, un chemin professionnel. C’est des mantras que j’estime être aujourd’hui les 7 les plus importants, que j’ai même quasiment classés dans un ordre chronologique ou d’importance. Il y en a certains que j’ai attrapés avant de rentrer au GIGN, certains que j’ai pris en entrant au GIGN et en croisant des personnes importantes, des référents, des formateurs, il y en a certains que j’ai appris sur le terrain, à mes dépens, parfois, et j’ai fait cette espèce de petite recette qui m’est propre, qui fait que j’ai toujours cette espèce de checklist de pilote en tête, en me disant penses bien toujours à ça pour que ça se passe, peut-être, bien

 

Ce premier mantra, s’il est par ordre d’importance, j’imagine que c’est celui que tu mets tout en haut de la pyramide
C’est plutôt le premier dans l’ordre chronologique, dans notre spécialité, ou en tout cas dans ce job-là, et je pense que tu n’es pas étranger à ça, on a toujours des petits réflexes, des fiches réflexe, on organise nos pensées et nos processus de manière chronologique pour ne rien oublier, et c’est plutôt dans ce sens-là que je les ai montés, en me disant penses bien à… Je ne sais pas si tu te souviens ,à une époque il y avait une pub avec Zinedine Zidane dans un vestiaire, qui disait toujours les mêmes gestes, il mettait d’abord la chaussette gauche, puis la droite, et en fait que ce soit dans le sport de haut niveau ou dans des métiers où il y a de la recherche de performance et de l’enjeu, il y a des rituels à mettre en place. Il y en a qui font rebondir la balle, il y en a qui font des gestes, des signes, qui ont des pensées magiques, et en fait, moi le premier truc que je fais, tout de suite,  quand je rentre dans une négociation à fort enjeu, quand j’ai le temps de la prévoir, et même quand ça n’est pas le cas, maintenant j’ai des espèces de petits process mentaux, ce qui fait que j’enfile mon costume de négociateur. Le premier truc c’est que j’essaie de mettre cette combinaison comme un pompier qui n’irait pas au feu sans mettre sa combinaison, un chirurgien n’interviendrait pas dans un bloc sans se laver les mains, etc., il y a des choses qu’on doit mettre en place et qu’on doit processer de manière psychologique et émotionnelle, avant de rentrer dans le rôle de quelque chose. Et ce truc-là fait que ça rend focus déjà, ça met une forme de concentration dans ce qui va être fait, et ça nous permet par sécurité émotionnelle parfois,  de se dissocier légèrement de ce qui va se faire, c’est-à-dire que quand j’enfile un costume, comme je pourrais le faire au théâtre, comme je pourrais me déguiser, me maquiller, à un moment donné, je vais dissocier qui je suis de ce que je vais faire.  et le fait d’enfiler un costume et de commencer à jouer un rôle, va me permettre de me mettre à distance et d’avoir un peu plus de recul par rapport à certaines choses et de moins subir certaines attaques peut-être ou certaines choses qui auraient pu me toucher, si c’était mon identité personnelle qui avait joué ce rôle-là

 

(communication sur la formation)

 

J’ai toujours l’habitude, quand je fais ça, le mot dissociation, c’est vraiment ça, me dire qu’à ce moment-là j’ai ce rôle de négociateur et donc si je suis attaqué, ce n’est pas moi qui le suis, mais ce que je peux représenter. Ça t’aide énormément à prendre du recul sur la situation
Exactement, voire parfois, tu peux être un leurre, une surface projective. En général quand les gens sont challengés ou quand la tension monte, que les gens peuvent être en colère, agressifs, mais pas forcément dans la crise, même dans certaines négociations commerciales ou syndicales, il peut y avoir le ton qui monte, les gens ont besoin de taper sur quelque chose, d’envoyer leur colère ou leurs émotions sur quelque chose, et souvent on représente ce truc-là, quand on se met en face des gens pour négocier, et c’est  intéressant de leur opposer ou en tout cas de leur proposer quelque chose sur lequel ils vont pouvoir, on n’est pas des défouloirs, mais à un moment il faut que cette émotion s’apaise, que cette tension se ventile, et c’est intéressant d’envoyer, de proposer à l’autre une surface projective qui n’est pas nous, notre identité, et ce costume de négociateur peut se mettre  mentalement, émotionnellement, il peut être posé avec des mots en disant, je suis votre interlocutrice, votre interlocuteur, mon rôle c’est ça, et en fait on construit un petit peu cet artefact pour la partie adverse, ou en tout cas les gens avec qui on va négocier, et déjà ça nous met à distance, et on agite une espèce de leurre sur lequel il va pouvoir y avoir  des transferts de par  la partie adverse

 

ce qui me vient en tête, c’est la difficulté pour quelqu‘un qui travaille dans une entreprise ou dans sa vie personnelle de se dire, il y a des négociations qu’on ne voit pas venir. Nous dans notre travail, on est souvent en tant que tiers pour aider. Et là si c’est moi qui suis directement dans le couloir, pris par un chef, un collaborateur, un client qui est mécontent je ne m’y attendais pas, ou je suis pris par mon conjoint, ma conjointe sur quelque chose où il y a eu une erreur, un problème, une incompréhension comment je peux faire pour adopter ce costume alors que je n’ai pas vu qu’on entrait dans une phase de négo ?
Il y a une question de choix dans ce que tu dis, c’est-à-dire que par exemple, je descends les escaliers, et ma conjointe me prends à partie pour un truc, je ne vais pas avoir besoin ni envie d’être quelqu’un d’autre, c’est dans mon intimité, dans ma particularité, dans notre relation, et je vais assumer complètement le fait que c’est mon identité à moi qui va être challengée sur ce truc-là. Mais si j’arrive dans l’entreprise, il y a plusieurs façons de faire, si le mindset de l’entreprise, c’est que ces négociations peuvent arriver à n’importe quel moment, le matin, j’arrive au bureau, il y a des gens qui le font déjà dans les transports, dans la voiture,  le matin j’arrive au  bureau et psychologiquement j’appuie sur le bouton, ce n’est plus moi, c’est le responsable de la comptabilité, ou la responsable du marketing ou le collaborateur, la collaboratrice X Y, et quand j’arrive, en fait ce truc-là, enfiler un costume, ça ne met pas des plombes, ça met un quart de seconde, on est pris sur le fait, on se fait challenger ou attraper aux détours d’un couloir sur un sujet qu’on n’avait pas prévu, en un quart de seconde, c’est du conditionnement, on peut très bien avoir une pensée et switcher, et se dire, là ce n’est pas moi, c’est, et on instaure le rôle ou l’artefact de la personne qu’on représente et qui est attaquée. Quand tu es dans Paris, ou dans une ville où il y a des bouchons et que tu te retrouves au feu rouge, et que ça passe au vert, au moment où ça passe au vert, ça klaxonne derrière. Ben en fait les gens ne te klaxonnent pas toi, mais ce que tu représentes, ils klaxonnent ce que tu leur empêches d’avoir, et ça serait Julien ou David ou Martine, ça klaxonnerait pareil. L’idée est de se dire, quand j’ai ce coup de klaxon que je n’ai pas prévu, je pourrais être touché dans mon individualité de, je suis un mauvais conducteur, il ou elle m’en veut à moi particulièrement mais en un quart de seconde tu peux te dire, ça klaxonne parce que ça klaxonne et moi ou quelqu’un d’autre, c’est pareil. Donc aux détours de ton couloir dans ta boite,  tu peux exactement te dire le même truc, la personne vient me voir mais pas moi dans ma personnalité, elle vient me voir dans mon rôle d’employé, de ce que j’ai fait ou pas, de ce que je lui empêche d’avoir ou d’obtenir dans le closing de son dossier, sa promotion, etc. et ce switch se fait hyper vite, à partir du moment où on a l’habitude de le faire. C’est ce que je fais avec certains sportifs de haut niveau, ils sont judokas, boxeurs, triathlètes, ils enfilent une tenue, un costume et c’est pareil dans la tête

 

ça fonctionne quand tu t’es beaucoup entrainé, cette notion de conditionnement. Sur des conférences, j’ai une petite musique qui dure 30 40 secondes, qui te met dans un état modifié de conscience léger et qui moi me donne une patate incroyable, et je suis dans ce mindset de conférence qui est un mindset différent, il faut être sur une posture un peu plus haute que notre quotidien pour réussir à fédérer, alors que sur un quotidien, je travaille plutôt avec une posture basse, mais on en reparlera. C’est un autre mode de travail la conférence, et j’ai cette musique qui me chauffe un peu
Qui te booste, et qui t’amène sur l’état de conscience ou l’état d’énergie qui est le plus propice…  l’idée c’est ça, et ce costume n’est pas unique pour tout le monde, il y en a qui vont être de bonnes négociatrices, offensives, il y a des gens qui vont avoir un état plus flegmatique, plus en recul, tout est OK, il n’y a même pas de notion de bon ou de bien, ou de jugement de valeur de quoi que ce soit, c’est appuyer sur un bouton et se dire, maintenant je veux être comme ça, et c’est maintenant que ça arrive

 

ça ne peut faire de nous que des meilleurs négociateurs, en tout cas moi ça me permet d’être un peu moins sur l’intuition dans mes prises de décision, d’être plus réfléchi, plus posé, d’adopter un comportement qui est plus calme
C’est intéressant d’avoir cette prise de conscience, non par rapport à l’autre mais par rapport à soi, je rentre dans un processus de négo, donc je crée les conditions les plus favorables à ce succès, premier mantra.
Deuxième mantra ?
Le deuxième c’est qu’avant même de commencer à imaginer l’action, d’anticiper, d’imaginer des scénarios et des stratégies c’est, je pars du postulat que je n’ai aucune certitude, et que tout est possible. Cette ouverture, ce champ, va me permettre d’être moins déstabilisable, d’avoir une souplesse de base, c’est à dire que souvent quand on rentre dans des expertises, qu’on se forme à énormément de choses, de grilles de lecture, de techniques, d’anagramme, on commence à avoir une idée très précise de ce qu’on peut faire, avec quoi, du chemin pour l’atteindre, et ça, c’est, et une très grande force et une très grande faiblesse, parce que ça va nous faire perdre en souplesse et en adaptabilité. Pour moi l’expertise, le fait de remplir sa boite à outils de négociatrice, négociateur, qu’on passe par des grilles de lecture issues de la thérapie, d’école de commerce ou de courants de pensée, tout ça ne sert qu’à avoir un backup, pour répondre à quelque chose qui va peut-être nous surprendre. Et en fait ça ne sert qu’à nous rassurer ou à faire monter la confiance sur, OK je laisse ça rangé derrière, je sais que c’est là, je sais que je suis en capacité de le mettre en œuvre, je sais que s’il se passe X Y ou Z situation j’ai le bon outil pour y faire face ou m’articuler, et ça, ça ne doit pas m’enfermer, me rigidifier, cette expertise, ça doit m’apporter de l’assurance et me permettre d’être complètement ouvert. Dans un des épisodes de Star Wars, il y a un jedi, pour ceux qui n’ont pas la réf, les jedis, c’est un peu les gentils, et il y a les gens qui sont du côté obscur de la force qui sont plutôt les méchants. Je ne sais plus le nom de l’épisode mais je me souviens de la scène, et je me suis dit, ça, c’est de la négociation. En fait c’est ce que devrait pouvoir avoir comme attitude une négociatrice ou un négociateur dans une négociation longue, à fort enjeu, qu’on parle de crise ou de commerce. Ils sont sur une espèce de pont en train de se battre, il y a un guerrier sith, noir avec un visage rouge avec un double sabre laser (épisode 1), et ils sont en train de combattre sur un pont suspendu, et régulièrement il y a des murs lasers infranchissables, qui tombent et à un moment, ils se retrouvent chacun de part et d’autre de ce mur, et le « méchant », reste complètement en tension, énervé face au jedi de l’autre côté, et essaie de taper contre le mur et met de l’énergie et de la tension.  À ce moment-là, le jedi rentre son sabre laser, il se met en tailleur, ferme les yeux et commence à, méditer ou se reposer, je ne sais pas, mais en fait il économise de l’énergie parce qu’il n’y a aucune nécessité d’en mettre. Et surement qu’il va se passer un truc, mais en tout cas il est prêt, et au moment où le mur s’en va,  le jedi ouvre son sabre laser et fait un salto et se retrouve à pouvoir de nouveau combattre. Et en fait, de n’avoir aucune certitude et se dire que tout est possible, c’est aussi être en capacité d’économiser de l’énergie parce que je sais que j’ai la capacité de réagir, de mettre en œuvre des techniques, et d’avoir la bonne attitude quand ça va arriver, mais je n’ai pas besoin d’être tout le temps en tension pour ça. Par exemple, un pompier qui prend une garde de 24 heures, il va faire du sport, dormir, jouer avec ses potes aux cartes, etc., mais il n’est pas debout pendant 24 heures avec l’espèce de tube en métal sur lequel ils descendent en attendant que ça bipe parce que sinon au bout de trois heures il serait complètement claqué

 

ça veut dire, si je fais le parallèle avec la scène Star Wars, qu’il faut être dans l’instant présent,  complètement ouvert à ce qu’il se passe, à l’autre, mais sans croyance limitante ou sans futur qui est quelque chose qui n’est pas avéré
En fait, tu peux très bien avoir des projections, positives, des futurisations négatives, positives, et avoir une espèce de pensée en arborescence de, OK, le meilleur que je pourrais obtenir sur cette négo c’est ça, le pire qui pourrait se passer c’est ça, et j’ai plein de scénarios qui vont venir s’intercaler au milieu, et ça, une fois que je l’ai fait,  je le mets de côté, mais je ne m’enferme pas, je suis effectivement dans l’instant présent parce que c’est là que ça se passe, mais par contre, ce que je vais chercher à travers ça, c’est d’avoir  un maximum d’énergie à disposition tout le temps, pour réagir, avec la certitude que j’ai en magasin le bagage technique et les moyens qui sont à ma disposition, pour faire face à ce qu’on va m’opposer

 

c’est fort ce que tu viens de dire, et je suis totalement d’accord. Je pense que la préparation doit nous permettre de nous sublimer, mais paradoxalement, je le vois dans certaines personnes que j’accompagne, la préparation les enferme, ils ont tout préparé de façon méticuleuse, et ça les aide à ne pas sortir de cette incertitude, mais ça les enferme, et ils vont chercher des biais  de confirmation parce qu’ils sont  persuadés de savoir ce que l’autre veut, et plus ils ont des expertises fortes, plus ils ont moins cette capacité  à embrasser cette incertitude et à écouter l’autre.
C’est ça. Quand tu fais un briefing de mission dans les forces spéciales, c’est le cas au GIGN, et dans les autres, j’imagine, quand tu déroules le scénario conforme, à la fin, on te donne des conduites à tenir, s’il se passe ça, tu fais ça, s’il se passe ça, tu fais ça , et à la toute fin, le chef dit, on va élaborer 3 cas non conformes, on appelle ça les CAT et les CNC,  les conduites à tenir du bon scénario, et cas non conformes. Si jamais il se passe ça, vous ferez ça, deuxième cas peu probable, si jamais il se passe ça, vous ferez ça, et on n’en met jamais plus de trois, parce qu’on se dit, le cas conforme c’est celui-là, les cas non conformes, il y en a un ou deux, voire trois des fois et basta. Ça, vous le mettez dans un petit coin de votre tête, et vous faites le job de ce qui va arriver, mais déjà dans le fait de se donner des conduits à tenir et des cas non conformes, ça ouvre la souplesse. C’est, sachez que la mission, l’objectif, c’est ça, et c’est pareil pour la négo,  mais sachez qu’il peut se passer certains trucs, on a mis les deux plus probables sur le papier, mais il peut s’en passer plein, donc soyez souples, adaptables et ouverts à ce qui va arriver

 

j’ai la chance de travailler avec Pegasus Leadership, et ils préparent exactement comme ça, les cas conformes et non conformes et nous ce qu’on utilise en négo, on fait des analyses prémortem sur nos préparations, on se dit, si la négo était un échec, quelles en serait  les causes, et ça nous permet par un raisonnement par l’absurde d’aller chercher plein de choses qui pourraient être un échec et après on va essayer de minimiser le risque que ça arrive
Oui, ça permet de déminer le terrain et d’avoir une prise de décision la plus saine possible

 

Oui parce que si tu te poses la question de qu’est-ce qui fait qu’on va réussir la négo, généralement tu vas être parasité par, on est beau, on est fort, on a la première proposition de valeur, oui mais tout le monde dit comme ça, tes concurrents aussi, et tout le monde
Exactement

 

donc pas de certitude, tout est possible et je m’ouvre à embrasser le risque d’une certaine manière
Exactement, le risque, et surtout le mien, parce que c’est celui-là qui fout le bordel en général. Ce n’est pas celui des autres, qu’on connait assez peu tant qu’on n’est pas allé le chercher, mais mon risque à moi c’est celui qui me déstabilise et qui me stress

Donc j’enfile mon costume en un,  je n’ai aucune certitude et tout est possible en deux. Et une fois que je suis prêt, disponible, psychologiquement, physiquement, émotionnellement à l’autre, je vais passer à la phase un peu d’action et là je prends ce truc qui est de Confucius, je crois, mais c’est sans certitude, j’ai deux oreilles et une bouche, c’est pour écouter au moins deux fois plus que ce que je ne parle. Ça parait évident, dans des métiers comme le nôtre et on s’aperçoit dans des situations d’assistance ou de vraie négociation ou quand on bosse avec certaines entreprises, que le naturel revient vite au galop et que des gens monopolisent la parole énormément, parce qu’ils ont envie de faire confirmer à l’autre leur mode de pensée ou leur process. Le truc c’est qu’en faisant ça, nous des fois en formation, dans certains exercices on leur demande,  tu as une barre de 0 à 100, durant cet échange tu as pris la parole à hauteur de combien, tu as monopolisé la parole à hauteur de combien, entre 0 et 50 ou entre 50 et 100 ? Et les gens mécaniquement, quand la tension monte, quand il y a de l’enjeu, du stress, ou quand ils se retrouvent en opposition individuelle face à quelqu’un, ça déborde largement les 50. Et en fait,  l’idéal c’est de passer en dessous des 50, mais plus on se rapproche de zéro de manière très artistique presque, en négociation, on va pouvoir… je trouve que c’est vraiment beau en négociation d’arriver au même résultat avec le moins de mots possibles. C’est quasiment de la dentelle en négociation, que de poser juste des balises, jouer d’influence, de charisme et d’autres trucs, parce que la solution se trouve dans la tête de l’autre, pas dans la nôtre. Vous avez beau vous dire ce que vous voulez, ce qu’il y a dans votre tête, vous le savez déjà , on s’en fout, si ce n’est que de confirmer un truc que vous avez mentalement, de le dire à haute voir, hormis manipulation éthique, hormis manœuvre d’influence,  hormis mécanique basique, commerciale de ?? ou de toute autre structure conversationnelle liée à des courants thérapeutiques qui vont vous aider à atteindre vos objectifs ou à modifier l’état de conscience de la personne qui est en face de vous, ça n’a aucun sens. Alors que le fait d’écouter beaucoup plus les autres, pour moi la négociation, c’est un travail d’enquêteur, tu rentres dans une pièce complètement noire, il va falloir l’éclairer avec une lampe torche, voire trouver l’interrupteur et éclairer tout ce qu’il y a dans cette pièce, parce qu’une fois que tu auras éclairé tout ce qu’il y a dans cette pièce, tu vas vraiment savoir tout ce que tu peux faire, ce que tu ne peux pas faire, est-ce qu’il y a un chemin, est-ce qu’il y a un truc qui est coincé, est-ce qu’il y a besoin de lever un truc pour en sortir un autre pour te permettre de passer et d’arriver à la porte de sortie de l’autre côté. Et ça, parler beaucoup plus que ce qu’on écoute ne permet pas d’allumer ces lumières,  parce qu’il n’y a que l’autre qui peut les allumer. On va parler de questions ouvertes, introspectives, on peut changer plus ou moins l’induction de la question, après, ça devient vraiment de la technique, mais déjà si de base on commence par aller à la recherche du bénéfice futur de l’autre, qu’est-ce que l’autre va avoir envie d’obtenir dans cette négociation, c’est quoi son besoin, le besoin de son besoin, là on est sur la bonne piste, et on va aller dix fois plus vite. Quand on pose une vraie bonne question à quelqu’un, on a la réponse là où on pourrait faire 1000 suppositions en tombant à côté. Et donc le but est d’éclairer cette pièce, et pour ça il faut écouter bien plus

 

 

 

la seule personne qui peut prendre la décision d’y aller ou pas, c’est l’autre, et s’il le fait c’est toujours dans son référentiel. Là l’idée est de comprendre comme lui dépeint son référentiel
Et l’écoute, ça apporte quelque chose, ça apporte le silence. Le silence, chez les jeunes négociatrices et négociateurs que j’avais en formation, c’était assez souvent malaisant, le fait d’être en face de quelqu’un, de ne pas forcément parler, d’ailleurs quand tu es en voiture avec quelqu’un que tu ne connais pas forcément ou avec qui tu n’es pas à l’aise, en général, on essaie de meubler, de briser la glace, et ça parle de tout et de rien, alors que quand tu es en voiture ou en transport avec quelqu’un avec qui tu es à l’aise, avec qui il y a de l’intimité, tout de suite tu as du silence qui s’installe, et tu n’as aucun problème à passer une heure sans décrocher un mot, ce qui est bizarre avec quelqu’un qu’on ne connait pas. Et le but à atteindre suprême, pour moi, ça serait d’arriver à avoir une sensation d’être à l’aise, une sensation d’intimité sans que ça ait été imposé par le cadre,  avec quelqu’un que tu ne connais pas, voire avec une personne avec qui tu es en tension, c’est le principe de gestion de négociation de crise, tu te retrouves à avoir des silences avec quelqu’un qui a une arme à la main, et  ça laisse de la réflexion à l’autre, ça te laisse de  la réflexion et de la distance à toi, et ça envoie un message implicite de, OK il n’y a pas d’urgence à communiquer, moi je me sens bien, tu es en droit de te sentir bien ou pas, en tout cas cet espace privilégié pour nous deux est là, et on n’est pas obligé de surcommuniquer ou de mettre des mots inutiles dans ce truc-là, on va prendre le temps de poser des mots ou d’avoir des silences pour avancer tranquillement. Et ça, ça amène à ce mantra-là.

 

Le silence n’est pas toujours bien compris, notamment par des populations commerciales, le silence est très offensif pour eux, il est là pour mettre mal à l’aise, le premier qui parle a perdu, alors que le sujet de la négociation c’est que c’est un silence qui est une invitation à l’échange, qui permet d’aller chercher des focus internes chez chacune des parties, qui permet de se concentrer, d’écouter, et je pense, de laisser sa place à l’autre, et de respecter sa capacité à vouloir parler ou pas aussi
Tout à fait, et ça vous laisse quand même, si on rentre un peu plus dans la technique, dans la stratégie, poser des questions intéressantes, et rester dans le silence et l’écoute, même pas peut-être pour forcément écouter la forme de la réponse, mais s’il y en a certains d’entre vous qui nous écoutent, qui font un peu de synergologie, qui regardent les accès oculaires, qui regardent comment la personne va réagir, ce sont des temps qui sont exploitables techniquement autrement, et cette gymnastique-là de retrait, de mise en avant, de retrait est très intéressante dans les négociations

 

4e adage
Donc le 4e tu le connais bien parce qu’il est commun à un de nos amis, Éric Blondeau, que je me permets de citer, avec qui on a travaillé au GIGN pendant longtemps, et c’est, je suis 100 % responsable de 50% de ma relation. Elle est forte cette phrase, elle est forte de sens quand tu vas la mesurer sur le terrain, parce qu’elle parle vraiment de la responsabilité technique, émotionnelle, d’engagement, tactique, juridique même des fois, même dans la constitution française on trouve des choses sur, où s’arrête la liberté de quelqu’un et où commence celle de l’autre, c’est un peu pareil. Une relation, c’est une corde, il faut être deux pour en tenir un bout chacun, et souvent, et je l’ai eu beaucoup en coaching, c’est, tu me mets la pression, tu me mets en colère, ce client me met hors de moi, mon patron me rend triste. Non, il n’y a personne qui a la télécommande de votre tête et de votre cœur sur cette planète, personne sinon vous

 

Blondeau disait aussi, l’autre n’est pas responsable ni de mon bonheur ni de mon malheur

C’est ça, et ça c’est un philosophe grec qui disait, vous ne me ferez pas vous haïr, parce que vous n’avez pas le pouvoir de ça.   Quand on accepte de se laisser embarquer là-dedans, c’est intéressant dans les négociations, de prendre la responsabilité de ses propres émotions, de ses propres risques, parce que le premier truc qu’on entend c’est, j’ai été obligé de, je n’avais pas le choix,  je ne pouvais pas. Si, tu peux, tu as le choix, tu as tout en main, tu décides de te le restreindre ou tu décides de faire en sorte que ce risque implicite est tellement gros pour toi que tu ne peux pas dire merde à ton patron parce que tu perds ton job, mais si, tu peux, et tu peux perdre ton job aussi, mais tu choisis en conscience de ne pas le faire. Et c’est intéressant parfois de ne pas se planquer derrière ces choses de, oui je ne peux pas, je n’ai pas le choix, ou personne ne fait ça, OK mais ça, ce n’est pas une vraie bonne raison pour faire certains choix dans la négociation, parce que je pose des choses au milieu, et l’autre en fait ce qu’il veut, et c’est pareil de l’autre côté, l’autre va vous agresser, vous insulter. Souvent ce que les gens répondent à ça quand je leur dis, oui mais ça ne permet pas aux autres de faire tout et n’importe quoi, oui, ce n’est pas ce qu’on est en train de dire,  que les autres ont le droit de faire tout et n’importe quoi et que c’est de votre responsabilité de prendre ça, mais si l’autre pose quelque chose au milieu, vous avez tous les choix à votre disposition, vous pouvez contrattaquer, vous pouvez vous retirer, vous plaindre, ou décider que c’est l’autre qui influe  votre état émotionnel, vous pouvez négocier, discuter, vous pouvez pleurer ou crier, mais c’est de  votre responsabilité ce que vous allez en faire, et ça n’appartient à personne d’autre

 

Cette phrase, je la comprenais,  et c’est comme ça qu’on en est arrivé à un adage chez nous, sur le deuxième principe, c’est que quand tu es sur une relation dégradée, avec quelqu’un  qui est agressif, qui n’est pas dans l’écoute, que sais-je,  du fait que, ça avait été très bien démontré par Zimbardo, que la situation impacte davantage notre comportement que nos croyances, tu sais qu’en modifiant ton comportement, vu que les émotions sont circulaires, tu vas modifier la situation, tu  vas modifier le comportement, et donc tu peux avoir un impact sur le comportement de l’autre. C’est en ça que je trouve que cette phrase est puissante, j’ai une part de responsabilité sur laquelle ,je ne peux pas dire ce n’est pas de ma faute, et je sais que si je fais quelque chose, je peux créer les conditions, peut-être plus favorables, pour que l’autre évolue dans le bon sens ou pas. et à l’inverse, si je suis face à quelqu’un qui n’a pas du tout envie d’avoir un accord, qui est sous l’emprise de stupéfiant, qui est malade ou que sais-je, je ne peux pas non plus être 100 % responsable de ces 100 %
C’est ça, et ça évite de tomber dans certains pièges relationnels. Par exemple si on prend Karpman et ses études sur le triangle dramatique, bourreau, victime, sauveur, le meilleur moyen de ne pas se faire embarquer dans un triangle de Karpman, prendre différentes positions, c’est de partir de là. OK l’autre a posé quelque chose, et je peux très bien le laisser là sans partir à essayer de compenser ou de partir dans cette dynamique vicieuse. Et dans plein de situations, ça demande souvent de prendre la responsabilité, de travailler sur son ego, de se dire, est-ce que j’accepte de me rendre responsable de ce qui est en train de se passer là, plutôt que de renvoyer la responsabilité à mon interlocuteur, mon interlocutrice,  la société, l’entreprise, mon chef, parce que c’est facile de dire que c’est de leur faute.  Donc il y a souvent un petit travail d’ego à faire en se disant, est-ce que j’assume maintenant, et ça a quoi comme conséquence que j’assume de prendre mes responsabilités dans cette négociation.

 

Puissant, on pourrait en parler des heures
Oui et avec l’appui de cas concrets, sans fin où à un moment donné, ce qui m’arrive dans la vie, une grande partie est de ma responsabilité, et même quand je suis en réaction à certains trucs terribles qui m’arrivent, je suis responsable de la manière dont j’ai réagi. Est-ce que je m’oppose, est-ce que je fuis, est-ce que je courbe l’échine, est-ce que je continue d’avancer, est-ce que je séduis, est-ce que je négocie, est-ce que… c’est quoi que je fais par rapport à ce qu’il se passe, ça j’en suis responsable

Donc j’enfile mon costume, je n’ai pas de certitudes, j’écoute, je suis 100 % responsable de 50% de ma relation.

Et le 5e c’est, je ne décide pas pour l’autre, je crée un espace motivationnel. Ça, c’est la plus grosse connerie qu’on peut faire en négociation, c’est le closing, et je vais te raconter une négo pour ce truc-là. Je suis dans la campagne du côté de Clermont-Ferrand, ça doit faire trois ans que je suis négociateur, et je commence à être un bon petit négociateur, je suis un peu fier de moi, de manière pas tout le temps très cool, je me dis, tu fais quand même un bon job, tu négocies bien et tout, et on arrive sur un profil vraiment très compliqué, dans la mesure où le gars a un profil psychologique un peu borderline, il est manipulateur, je n’aime pas trop utiliser ce terme, pervers narcissique, parce qu’aujourd’hui  tout le monde est pervers narcissique comme tout le monde était bipolaire dans les années 90, mais bon quand même, le mec a des trucs un peu vicieux, il te fait rêver, et il te détruit et te refait rêver et il te détruit. Et j’arrive sur cette négo, et pendant deux heures et demie ou trois heures, je négocie avec le gars, je commence à être fatigué, et à un moment donné le gars qui a son arme à la main dit, OK je vais sortir. Et donc il a son téléphone portable à l’oreille, j’entends à la radio la porte qui s’ouvre, et moi je suis à la mairie, à 200 mètres, au téléphone et le mec au moment où il sort me dit, je suis en train de sortir, et je l’ai au bout du fil, et je souris en regardant mes potes, les autres négociateurs, le chef, et il entend mon sourire au téléphone, et il me dit, ça vous fait sourire que je sorte ? Et il est rerentré avec son flingue, et j’en ai repris pour trois heures. Et en fait le truc c’est que je l’avais amené à sortir, j’avais quasiment guidé le truc, pris la décision pour lui, je lui avais dit comment faire, et à un moment donné, si ce n’est pas les gens qui décident eux-mêmes de ce qu’ils vont faire, ce n’est pas solide, ce n’est pas stable, pas pérenne et tu prends pour toi un truc qui ne t’appartient pas, parce que tu t’en enorgueillis d’arriver à accomplir ce projet, à closer cette affaire, etc., et en fait, le premier des trucs c’est, et ça rebondit un petit peu sur l’incertitude et sur le fait que tu ne sais pas comment ça va se passer, c’est que tu vas ouvrir un champ large de possibilités de choix pour l’autre, mais à aucun moment tu vas faire une projection de dire, c’est comme ça qu’il faut faire. Et ce truc-là, naturellement on le fait, quand on a un ami qui se fait larguer, qui a un problème, on dit, tu devrais faire ça, moi il m’est arrivé ça, et en fait on aime bien essayer de guider, de donner des conseils, et ça, en négociation, c’est intéressant peut-être au départ de fermer certaines portes pour créer une induction dans le tunnel de négociation dans lequel on veut emmener la personne, mais pour la sortie finale, pour la prise de décision pour ce closing-là, il ne faut absolument pas pousser les gens ou prendre une décision pour eux, parce que de manière futurisée, ça peut créer des conséquences délétères à la négociation. Peut-être que vous allez réussir à boucler votre affaire, vous allez avoir votre négo, et c’est OK, mais le problème c’est que si vous avez l’habitude de faire ça, peut-être que ce client va parler de ce problème-là un jour, ce monde est petit, on ne sait pas ce qu’il peut se passer

Et donc l’idée est de créer plutôt un espace motivationnel, parce que ça va créer de la confiance chez la personne qui va prendre la décision, et ça va être beaucoup plus puissant que de la guider ou de la faire sortir par la main.

 

on voit que dans le travail de négociation, quand tu essaies de convaincre, tu imposes une décision à l’autre, et c’est Kahneman qui en parle bien, il dit, il y a une connotation  négative, mais en anglais elle n’est pas là, il faut créer une faille dans le référentiel de son interlocuteur, faille dans le sens pas négatif, c’est la dissonance cognitive, et si cette dissonance  cognitive fait sens dans le référentiel de l’autre, ça va l’amener lui-même sur cette action
En fait le boulot de la négociatrice ou du négociateur, c’est d’ouvrir le champ des possibles de la personne qui est négociée en face, et on pourrait trouver plein de protocoles dans la thérapie  qui servent à ça, dans des leviers de changement, dans des problématiques, c’est, OK, quand tu regardes ça sous un autre angle, quand tu changes de point de vue par rapport à ce problème, cette croyance ou cette limite dans ton cadre de référence de ta négociation, quand tu te mets de l’autre côté et  que tu futurises de manière positive ou négative les conséquences de cette négociation, quand tu imagines que ce truc n’a pas existé ou qu’il pourrait prendre une nouvelle place dans ta vie,  tu ne fais qu’enrichir ou qu’éclairer certains points de vue de la personne en face, et ensuite, tu lui proposes de faire un choix qui potentiellement est plus ou moins retreint, et en fonction de quelle forme tu voudrais que prenne l’accord final,  mais tu ne peux absolument pas, ou en tout cas de manière éthique et pérenne, je trouve que ce n’est pas intéressant de choisir, ou de guider trop l’autre, plutôt que de lui laisser.. il n’y a rien de plus aliénant que la liberté, plus tu laisses de liberté aux gens plus il y a de chances qu’ils fassent le choix que tu avais envie qu’ils fassent

 

Nicolas Guégen, 2003, c’est l’évocation de la liberté, un super livre qui s’appelle psychologie de la soumission consentie
Absolument

Notre 6e, d’habitude je mets, je ne me pose jamais d’ultimatum, j’ai essayé d’être un peu moins radical, j’ai dit je ne me pose pas d’ultimatum ; ce n’est pas, je ne pose pas d’ultimatum, c’est je ne m’en pose pas, parce que, je ne sais pas si vous l’avez déjà réfléchi comme ça, mais quand on pose un ultimatum à quelqu’un, en réalité on est en train de se le poser à soi-même. Si je dis à mon gamin, attention, je compte jusqu’à trois, je suis en train de me dire que si j’en viens à compter jusqu’à trois, il va falloir que moi je fasse quelque chose, sous peine de perdre de la crédibilité,  sous peine de casser le rapport de confiance,  sous peine de me rendre compte que je n’ai pas les moyens à disposition de l’ultimatum que je pose à l’autre et donc que je me pose. Et en fait, c’est intéressant d’éviter au maximum de se coincer, parce que poser des ultimatums aux gens, de temps d’action, de temps et d’action, c’est toujours restreindre sa possibilité de rebondir, sa possibilité d’ouvrir la négociation et sa possibilité de travailler le rapport et la relation.  Par exemple, on s’en pose tous les jours, quand je te dis, je serai là à 11h en bas de chez toi, OK je viens de m’imposer d’être à 11h en bas de chez toi, et en fait, des petits ultimatums insoupçonnés et insoupçonnables de tous les jours, il y en a. et donc ce qui est intéressant, quand vous êtes dans la négociation, c’est de commencer à les débusquer à les détecter ces ultimatums qu’on subit. Ça m’est encore arrivé cette semaine, pour le passage en première de votre fils, il faut absolument nous donner la réponse pour tel jour, telle heure. OK, sinon quoi ? C’est pour quelle raison ? Et en fait, d’ailleurs dans l’Éducation nationale,  je ne sais pas si tu as déjà eu à prendre en pleine figure tous les ultimatums que l’E.N te pose, mais régulièrement, j’explose, je percute les ultimatums de l’E.N et il ne se passe pas grand-chose.  Tu n’as pas justifié une absence, tu n’as pas fait un truc, et en fait tu t’aperçois , à la première ou la deuxième fois que tu casses l’ultimatum de l’autre qu’il n’y a pas de conséquence et comme il n’y en a pas, l’ultimatum ne vaut pas grand-chose, et même, ça baisse un petit peu l’estime que tu as potentiellement de la personne qui pose l’ultimatum. Et donc ça, il faut se le regarder en miroir, c’est de se dire, si un jour j’en viens à poser un vrai ultimatum dans une négociation, il faut que j’assume le fait d’en appliquer les conséquences, et de ce que ça va générer dans le rapport de confiance et dans ce qu’il va se passer derrière, dans la négociation. Et surtout est-ce que j’ai à ma disposition les moyens de mettre à exécution cet ultimatum. Et ça, c’est vraiment le vrai piège. Pourquoi est-ce que je le fais ? Est-ce que si je le fais ça a vraiment du sens et j’ai les moyens de le mettre en place ? Si j’en viens à mettre à exécution mon ultimatum, est-ce OK pour ce qu’il va se passer derrière

 

Est-ce qu’il va se passer quelque chose ?
C’est ça, est-ce qu’il va se passer quelque chose, et s’il ne se passe rien, qu’est-ce qu’il se passe ?

 

il y a Thomas Schelling qui a écrit sur le paradoxe de l’engagement, qui pour moi est un des meilleurs auteurs sur la notion d’ultimatum, il dit, quand tu poses l’ultimatum à quelqu’un de quelque chose, c’est que le passage à l’acte a forcément un cout pour toi,  sinon tu ne poserais pas d’ultimatum, tu le ferais. Si je te dis si dans 10 minutes tu ne fais pas ça, il y aura ça, c’est que faire ça aurait eu un cout pour moi, donc le paradoxe de l’engagement nous dit Thomas Schelling c’est que si tu ne te plies pas à l’ultimatum que je te donne, tu vas me contraindre à faire quelque chose que je ne souhaitais pas faire de prime abord
Et il y a un risque, tu mets l’autre dans un sas de pression, en espérant qu’il n’en vienne pas à toucher la limite de ton ultimatum. Quand je formais les gendarmes et opérateurs du 17,  les centres opérationnels qui reçoivent des coups de fil sur la crise suicidaire, je leur disais, quand les gens vous appellent pour vous dire, je vais me foutre en l’air, dites-vous que de base, hormis quelques exceptions qui ont besoin d’un témoin, qui est une espèce de suicide by cop (?) pour cette crise-là, c’est qu’ils ne sont pas prêts à le faire. Les gens qui veulent vraiment se foutre en l’air le font, et ils ne vous appellent pas

 

c’est la différence entre un suicidaire et un suicidant
C’est ça. Et l’idée c’est, quand quelqu’un en vient à poser un ultimatum, c’est qu’en vrai il aimerait bien qu’on n’en vienne pas à l’ultimatum, et donc quand vous poser un ultimatum, dites-vous à quel point vous êtes prêt ou pas à ce que la personne vienne toucher cette limite. Et donc j’essaie au maximum de ne jamais m’en poser, et donc j’en pose assez peu des ultimatums, voire jamais. Et si on arrive à faire de la négo sans ça, c’est très cool

 

c’est plus simple pour tout le monde, et pour nous parce que ça ne nous force pas à faire des choses qu’on n’aurait pas souhaité faire,  et pour l’autre qui aura plus de temps. on peut avoir des contraintes, mais ma contrainte de temps généralement, ça va être la contrainte de temps de l’autre et inversement
Tout à fait

 

le 7e m’a amusé, la métaphore, et je le trouve intéressant, j’ai hâte d’avoir ton explication sur le sujet
Le 7e c’est vraiment un besoin vital de crise. Je l’ai vécu dans les crises, dans l’accompagnement et le coaching, je l’ai vécu dans des approches thérapeutiques. Faire la cheminée, et pas l‘éponge, c’est absolument primordial quand vous gérez des situations qui sont, soit extrêmes, soit urgentes, soit qui engagent des vies humaines, soit qui engagent des risques financiers qui vont engager des destins, des parcours de vie, et l’idée c’est que, ça tombe sous le sens, si un  thérapeute, un infirmier, un pompier, un docteur aux urgences, faisait l’éponge émotionnelle et psychologique de toute la détresse à laquelle il ou elle fait face toute la journée, au bout de trois jours, les gens partiraient en burnout et changeraient de boulot. Et c’est un peu plus vicieux à mon sens dans des métiers où on n’est pas directement et consciemment et explicitement exposé à ça, parce qu’on peut se dire, un pompier sait qu’il va gérer de la misère humaine, un négociateur de crise sait qu’il va y avoir des prises d’otages, des suicides, etc., mais par contre, quand je bosse dans une entreprise, quand je bosse en freelance ou en cabinet de conseil ou autre,  ou dans des métiers annexes qui font de la négociation sans que ce soit forcément affiché, on fait face quand même à des situations tendues, qui peuvent déraper. Et si on ramène ça à la maison, si on fait l’éponge plutôt que d’accueillir ce mal-être, d’accueillir cette agressivité, ces émotions négatives,  les bruler dans votre tête ou on peut imaginer plusieurs images, et les évacuer parce que ça ne vous appartient pas ce qu’il s’est passé, vous êtes un passe-plat, vous avez été une surface de projection, vous avez accueilli ces émotions, ces situations-là, mais ces trucs-là ne vous appartiennent pas, ce n’est pas parce qu’on vous donne quelque chose qu’il faut le prendre. À ce moment-là, vous êtes un accompagnant, et vous avez aidé les gens à vider les pierres qu’ils ont dans leur sac à dos, mais à aucun moment quelqu’un ne vous a demandé de prendre ce sac à dos. Et l’idée de ce mantra-là est de se dire, je pense à une mission en particulier qui avait été dure à l’unité, comme il y en a plein mais celle-là m’avait touché, c’est  un papa d’un petit garçon de trois ans, qui retenait en otage son fils, suite à un divorce un peu compliqué, et son ex-femme avait des problèmes psychiatriques, et ce papa avait une arme, et au moment où les négociateurs prennent la main, le gars part complètement en cacahuète dans une espèce de diarrhée verbale quasiment hystérique, et le négociateur dit  au chef, il faut intervenir là, parce que ça va mal se finir. Ce qu’on sait de l’environnement du gars, c’est que quand lui avait 5 ans,  son père à lui, lui avait tiré   dessus avec une arme à feu, à bout portant, et donc le négociateur dit, le schéma est en train de se reproduire, le père part complètement en cacahuète, il faut rentrer. Et au moment où l’équipe rentre, là où n’importe quel auteur avec une arme à feu se tourne vers la colonne d’assaut qui est une espèce de bloc noir, et tire sur le bouclier pour se défendre, là le père se tourne vers son fils et lui tire dessus, et le gamin a trois ans. L’équipe d’assaut rentre, récupère le gamin, on a le docteur dans la colonne d’assaut, ils lui font un point de compression et le récupèrent, et aujourd’hui le gamin est en bonne santé. Mais il y avait plein de mecs ce jour-là qui avaient des gamins de 3, 4 ou 5 ans à la maison et quand tu rentres à la maison, que tu as entendu le cri du gamin, que tu as entendu le coup de feu, que tu as vécu une situation d’une violence et d’une atrocité innommable, sur un enfant, tu as beau être au GIGN, tu n’es pas un superhéros, pas un surhomme,  il faut évacuer ce truc-là. Et à un moment donné c’est de ton devoir même, d’être opérationnel à chacune de tes missions, et ce mantra-là, de ne pas garder les choses et de les évacuer systématiquement, il est vital. Et dans des métiers tout autres, c’est hyper important. Là vous avez peut-être vécu des négociations qui ont été tendues, vous avez peut-être des situations personnelles qui ont été extrêmes, c’est absolument vital d’évacuer ce truc-là et de ne jamais le garder. On peut très bien garder le souvenir d’une situation, mais l’affect ou le poids émotionnel, ou les conséquences délétères psychologiques que ça peut avoir, ça il faut absolument le nettoyer régulièrement et vérifier qu’on est en bon état de santé émotionnelle et mentale pour continuer à bien faire ce job-là et être au service des autres. Et dans vos négociations commerciales et personnelles, c’est important de vérifier que tout est en ordre, régulièrement

 

 

 

dans le monde de l’entreprise, je le vois légèrement différemment, tu as des gens qui prennent sur eux, qui ne ventilent pas, et à un moment donné, tu as des burnouts, des risques psychosociaux, tu as des gens qui explosent, et des fois pour un détail, et qui n’est pas un détail pour eux, mais avec le regard extérieur, c’est le trop-plein. Je pense que de façon générale, qui plus est sur certains métiers, c’est bien d’être accompagné, d’avoir des sas de décompression, où on peut parler plus facilement
Oui, j’avais regardé la série en thérapie sur ARTE, où on voit suite aux attentats, un flic, un prof, etc. et en fait, il n’y a pas besoin d’aller voir forcément un psy quand on a un truc plus lourd qui pèse, il y a des thérapeutes partout, votre pote, votre sœur,  votre collègue avec qui on va boire une bière après le boulot, le copain avec qui on a l’habitude d’aller courir.  C’est important de se nettoyer, de faire attention que tout est OK, et si effectivement malgré tout ça, on en vient à avoir toujours des traces de quelque chose qui pèse et qui ne passe pas, là c’est intéressant de se rapprocher d’un professionnel, mais il y a plein de choses à faire avant

 

une bonne hygiène de vie, du sport, des potes, ça aide
Voilà ma feuille de route, j’enfile mon costume de négociateur, je n’ai pas de certitudes, j’écoute beaucoup plus l’autre que je parle,  je suis 100 % responsable de 50% de la relation, je ne décide pas pour l’autre, je crée un espace motivationnel, je ne me pose pas d’ultimatum, et je tâche de faire la cheminée plutôt que l’éponge. Et j’ai ces petits mantras qui me tournent en tête avant, pendant la négociation et souvent, ça me donne des petits rappels, ça me remet dans l’axe

 

quand on travaille, nous sur nos principes, toi sur tes mantras, c’est des sujets que tu peux aborder sur n’importe quelle forme de négo, qu’elle soit commerciale, sociale, managériale, c’est des vérités, d’où la puissance que ça amène

On pourrait en parler pendant des heures, c’est passionnant

J’aurais pu vous en donner d’autres, mais j’ai choisi ceux-là, c’est les plus importants pour moi

Pour finir le podcast, si le David d’aujourd’hui rencontrait le David d’il y a 20 ans, quel conseil lui donnerais-tu ?
C’est que, ce qu’il estime, et je pense à un David en particulier, je lui dirais que ce qu’il estime être dur, adverse, injuste, compliqué à gérer, c’est justement ça qui va forger son caractère et qui va lui donner certaines compétences, certains skills qui vont lui servir dans sa vie. Le reste, ce qui est facile et confortable, ne va pas lui servir à grand-chose. Donc il faut qu’il commence à chérir les situations d’adversité et de difficultés, parce que c’est ça qui va l’aider à faire de belles choses.

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