Le modèle d’Harvard en négociation – Eduard Beltran

Je suis né à Barcelone, mais j’ai vécu une moitié de ma vie à Paris en France et quelques années aux USA, et la négociation a été une passion pendant toute ma carrière professionnelle. J’ai démarré en originalité puisque j’ai démarré au ministère de la Justice à Paris,  où j’étais en charge de projets de coopération internationale et après j’ai été avocat en cabinet d’avocats d’affaires pendant quelques années, entre Paris, Bruxelles, et après sur d’autres projets. Et peu à peu la négo n’était pas simplement une passion, mais presque un métier, et aujourd’hui j’enseigne la négo à l’université,  j’accompagne des entreprises, et j’écris un peu sur ce sujet qui me passionne.

 

tu es passé de la partie avocat à la partie négociation, comme un peu les pionniers, comme Ury et Fischer
Un peu comme eux peut-être, effectivement. C’est vrai qu’il y a beaucoup de négos chez les avocats, et moi ce qui m’a beaucoup intéressé c’est de pouvoir conceptualiser, structurer, avoir une méthodologie là-dedans

 

et tu t’es formé à Harvard

Je me suis formé à Harvard, je me suis même formé plus tôt puisque j’ai eu la chance dans le cadre de mes études de faire un parcours Sciences Po, ENA, et dans le cadre de l’ENA je me suis formé également à la négo, c’était mon baptême en termes de négociation. Et après effectivement à Harvard, et d’autres structures que j’ai pu faire

 

avec l’ESSEC, avec IRÉNÉ

Avec ESSEC IRÉNÉ exactement

 

qui sont des pionniers en France sur la partie grande école,  avec un centre en recherche et négociation assez incroyable, créé par Lempereur
Absolument, Lempereur et Colson, effectivement, et c’est quand même génial d’avoir réussi à mettre la négo dans les grandes écoles, de légitimer cette approche négo d’une manière organisée. J’ai été formé par eux tout au début, et après j’ai un parcours qui m’a amené à l’université de New York où j’ai continué à travailler sur l’arbitrage de la médiation et de la négociation. C’est un ensemble d’expériences qui m’a amené jusque là.

 

et aujourd’hui tu as ton cabinet de conseils
Exactement, sur la négo et leadership, je déborde un peu sur le leadership parce qu’il y a beaucoup de points en commun, tout ce qui est influence, travail d’équipe, tout ce qui est gestion du conflit, on l’appelle parfois la négo, mais c’est un sujet beaucoup plus large, qu’on peut imaginer parfois, commerciale ou d’autres

 

Il y a des différences entre négociation raisonnée, entre stratégie des gains mutuels, entre négociation d’Harvard, il y a des courants de pensée différents, on parle de la même chose à chaque fois ?
On cherche toujours à donner des noms à des choses, et c’est vrai qu’on parle de beaucoup de concepts qui sont dans ma tête assez proches. On parle de la stratégie des gains mutuels, de la négociation raisonnée,  on parle en anglais de princip of negociation, de négociation intégrative, et finalement, dans ma tête, ça reste de la négociation, peut-être qu’on pourrait l’appeler, le socle commun c’est la négociation coopérative, l’idée que la négociation ce n’est pas une guerre entre deux ou plusieurs entités avec un gagnant, un perdant, mais plutôt l’idée qu’on peut coopérer ensemble avec quelques points de base pour arriver à un accord Win Win,  concept qui est beaucoup plus large que la négo, ça vient de la théorie de jeux, des années 50 même peut-être au-delà. Je dirais que tous ces concepts, ça fait référence à une approche en négo structurée, pour arriver à un accord qui est satisfaisant pour les deux parties.

 

si on parle de négociation raisonnée ou négociation d’Harvard, ça te convient pour la suite ?
Oui bien sûr

 

On parlait de l’ouvrage fondateur, en 1981, c’est getting to yes, de Ury et Fischer, qui a été écrit il y a 40 ans, mais qui est d’une modernité encore très incroyable sur beaucoup de points. La pensée sur la négociation a évolué, elle a pris en considération beaucoup de choses, l’avancée sur les neurosciences, sur la compétitivité ( ?) et tout ça, mais déjà il y a 40 ans, c’est un ouvrage très intéressant et qui est totalement applicable encore aujourd’hui.  Est-ce que tu peux sur cette négociation raisonnée nous dire les points clés qui ont fait qu’il y a un avant getting to yes et un après ?

Effectivement c’est un ouvrage qui arrive dans les années 80, suite à des travaux de recherche dans les années 70, dans un contexte, tu as très bien fait de le souligner, il y a 40 ans, le monde n’était pas le monde d’aujourd’hui, il y avait encore deux blocs majoritaires au niveau international, il y avait très peu de technologies par rapport à ce qu’on a aujourd’hui en termes d’internet bien sûr, d’échanges, même en termes de commerce international c’était plus limité que ce qu’il y a  aujourd’hui. Donc on avait un contexte qu’il faut mettre en perspective où les échanges étaient complètement différents de ce qu’on peut avoir en 2022

 

c’était la fin de la période des 30 glorieuses, en plus, économiquement, on était dans une période économiquement qui était beaucoup plus dure, il y avait des tensions plus apparentes que dans les années 50,60,70
Oui absolument et à la fois on sentait cette fin du monde organisé autour de deux blocs, donc il y avait déjà une volonté, liée aussi, on en oublie un peu le parcours de vie de Roger Fischer, qui nous a quittés il y a une dizaine d’années, à 90 ans, c’était quelqu’un qui avait une expérience de vie très solide, qui avait parcouru le XXe siècle et je pense qu’on ne peut pas déconnecter le getting to yes à tout ce qu’il s’est passé pendant le XXe siècle, je pense que quelque part c’est la conséquence de tout ce qui a pu se produire.

Qu’est-ce que cette approche nous apporte de nouveau en 1980, et même encore aujourd’hui, c’est que cette approche est basée sur 4 piliers, qui nous permettent d’aller vers un résultat de la négociation, un accord qu’on peut appeler plutôt coopératif, plutôt Win Win, dans lequel les intérêts des parties sont respectés. Donc il y a 4 piliers pour négocier d’une manière raisonnée, ou d’une manière stratégique habituelle ( ?), tout d’abord on va chercher les intérêts des parties, des négociateurs, cette notion d‘intérêt va être une notion moteur en négociation raisonnée, c’est à dire, quelles sont les motivations, les peurs, les ambitions des négociateurs à la fois court terme, long terme, personnelles, professionnelles, et là effectivement on a cette image très visuelle d’un iceberg, et on voit la position tout en haut, et cette notion d’intérêt en bas qu’il faut identifier.

 

ce qu’on appelle l’intérêt c’est tout ce qui se cache derrière l’attente qui peut être exprimée, c’est la structure profonde, Vs la structure surface, ce que j’ai verbalisé
Exactement. De manière plus terre à terre, c’est ce qui répond à la question du pourquoi, la position va être, qu’est-ce que tu veux ? Je veux acheter une voiture. Pourquoi est-ce que tu as besoin d’une voiture ? Ce n’est pas la même chose un père de famille qui a besoin d’une voiture pour emmener ses enfants à l’école, qu’un ? qui veut acheter une voiture parce que c’est vraiment sa vie ou quelqu’un qui va visiter des clients et qui a besoin d’une voiture pour ses déplacements professionnels

Donc le premier point, c’est cette notion d’intérêt , liée à des motivations, à des peurs, d’où cet adage que je trouve très drôle en négo, le bon négociateur doit être à moitié Sherlock Holmes, à moitié Simone Fight ( ?), le bon négociateur doit être toujours à la recherche de ses intérêts cachés, ses intérêts personnels, confidentiels,  donc ça passe bien sûr par l’écoute, par la préparation, l’analyse.

 

(communication sur la formation)

 

Passer un temps à questionner pour comprendre ce qui motive mon interlocuteur, je vais partir sur l’intention qu’il me partage. Ça fait sens de partager aussi ses intérêts, ses enjeux dans la négociation ? il faut se mettre à nu,  conserver ? si je garde pourquoi l’autre me partagerait
Robert Fischer disait, en négociation c’est important de partager ses intérêts, mais jamais l’intensité de nos intérêts. Et je trouve que tout est là, il faut partager ses intérêts, mais être vigilant à ne pas partager l’intensité de nos intérêts. Donc si je suis pressé pour vendre ma société, mon appartement ou ma voiture, c’est important de dire, je suis plutôt dans une dynamique où le plus tôt c’est le mieux, mais ce n’est pas la peine d’insister et de dire, je suis ruiné, je n’ai pas d’argent et si je n’arrive pas à vendre dans 24 heures, je vais être dans une situation très complexe. Cette notion de transparence qui dépasse la négo, qui va dans d’autres domaines d’activité, je pense qu’elle est fondamentale, parce qu’en plus, on peut trouver très rapidement, et désolé d’insister un peu trop sur les intérêts, mais les intérêts peuvent être différents, sans être divergents, c’est même l’essence même de la négo, on ne cherche pas la même chose, parce que si on cherche la même chose on ne négocie pas.

 

Merci de le souligner comme ça. Quand je lis des ouvrages ou des experts qui disent que la négo, c’est faire en sorte que des intérêts divergent, convergent, je ne comprends pas, tu peux avoir des intérêts qui sont différents, mais forcément ils doivent converger si tu veux aller chercher un accord. S’ils sont opposés ou divergents, la négo ce n’est pas de faire en sorte que des intérêts divergent ou convergent,  merci de le souligner
Donc premier point c’est cette notion d’intérêt qui est fondamentale, et qui nous positionne déjà dans une dynamique de négo beaucoup plus complexe que si on reste sur un niveau positionnel, sur qu’est-ce qu’on veut, on va chercher plutôt les motivations, quelles sont les peurs, les ambitions qu’il y a derrière un négociateur.

Une fois qu’on a identifié ces intérêts, on va essayer d’aller vers le deuxième point, dans l’ordre ou dans le désordre, c’est la créativité, la recherche d’option. Donc on ne va pas forcément chercher une solution, on va plutôt mettre sur la table quelles sont les options possibles qu’on peut envisager, qu’on peut imaginer, qui peuvent protéger les intérêts d’une manière totale ou partielle, on n’est pas obligé toujours de trouver une option qui va protéger tous les intérêts, on peut avoir un ensemble, d’ailleurs en négociation complexe, en négociation contractuelle, on retrouve beaucoup cette idée de plusieurs options qui vont permettre de protéger nos intérêts. Je prends un exemple, la confidentialité d’un accord, on décide que l’accord va être confidentiel, ça va protéger une partie des intérêts, mais pas tous, pas le fond du sujet avec la confidentialité, mais on protège l’image, la réputation, d’autres choses qui peuvent être en jeu

 

par rapport à la notion de créativité, que recommandes-tu dans ton travail pour coconstruire, partager avec l’autre, chercher peut-être dans un premier temps un maximum d’options, après les classer, les lister, regarder ce qui est faisable ou pas, ce qui est faisable à un instant T ne le sera peut-être pas demain s’il y a une nouvelle supplémentaire, une innovation technologique, une réglementation différente, et ce qui n’était pas faisable peut le devenir. Comment travailles-tu cette notion de créativité à l’autre ?
Ce que je propose souvent dans le cadre de mes missions professionnelles,  de conseil ou de formation, c’est de partir d’une pensée, ce qu’on appelle la pensée divergente , pour aller vers la pensée convergente. Dans un tout premier temps, on va partir en mode open, on va ouvrir la fenêtre, essayer de mettre sur la table ou sur un paperboard, sur un slide, toutes les idées qu’on peut imaginer, et après on va aller vers une pensée convergente, avec ce qu’on va appeler plus tard dans quelques instants, des critères objectifs, des preuves, des éléments factuels, des critères juridiques, financiers et autres, on va écarter et on va aller vers la meilleure option. Je prends un exemple que j’utilise toujours en formation, admettons qu’on veut aller de Paris à Bruxelles, quelles sont les options qu’on a ? Il y en a plein, l’avion, le train, un bus, une voiture, mais on peut aussi y aller à vélo, à pied, à cheval, en montgolfière, en hélicoptère, en bateau, sans doute. Donc on met tout sur la table, y compris les idées un peu décalées,  un peu exotiques, pour après aller vers des critères d’analyse pour les écarter, des critères financiers, techniques, de durée, et ça nous permet d’aller vers l’approche plus pertinente, qui va être, on va y aller avec le train parce que d’un point de vue financier, écolo, plein de choses, c’est l’approche qui nous intéresse le plus

 

Tu segmentes cette créativité, tu fais en sorte d’avoir une vraie notion de brainstorming, sans être limitant, sans être limité, quitte à raisonner par l’absurde, le bateau c’est la belle illustration, c’est absurde à l’instant T, mais tu peux dire que demain avec la montée des eaux, ça sera peut-être faisable. Ce n’est pas parce qu’une idée est rare qu’elle n’a pas de sens, en négociation, comme dans beaucoup de choses, s’il y a trois ans on nous avait dit que dans le monde on serait confiné, avec un masque dans la rue, personne ne nous aurait crus. Avoir cette phase de créativité, ça fait beaucoup de sens, pour après dans un second temps, voir ce qui est accepté, acceptable
C’est surtout ce qui nous permet de mélanger, de mixer les options. C’est-à-dire qu’on trouve l’idée du bateau un peu bête, mais admettons qu’on ait à Paris la tour Eiffel, et on veut aller à Bruxelles, pourquoi ne pas prendre les bateaux-mouches, un bateau touristique pour aller à gare de Lyon car il y a une grève des transports en commun, à la fin on peut mixer, et je pense que c’est la richesse aussi en négo. En négo il n’y a pas beaucoup de noir, pas beaucoup de blanc, il y a beaucoup de gris entre les deux, et c’est justement le gris qui est intéressant

 

et c’est ça la complexité de la négociation, ce n’est pas binaire
Exactement, il n’y a pas de bonne solution la plupart du temps, il peut y avoir plein de bonnes solutions, ça dépend de points d’équilibre, de beaucoup de choses. Donc cette notion de créativité, d’option, ce qui est très important aussi, c’est de séparer la phase de, on va émettre des idées, on va partir en brainstorming, de la phase de choix. C’est très important de ne pas choisir pendant la phase de brainstorming parce que là ça peut limiter la créativité, y compris l’ego,  parce que quelqu’un qui va dire on peut y aller en bateau, on va dire, attends, tu es con, qu’est-ce que tu dis,  en bateau !  il y a 90% de chance qu’il ne va pas ouvrir sa bouche pendant le reste de la négo, il va se sentir vexé, donc si on veut créer une dynamique plutôt coopérative, il faut s’imposer quelques règles de création

 

est-ce que tu m’autorises à dire qu’il faut négocier cette phase de créativité, le process de créativité
Même plus que ça, souvent je dis qu’il faut négocier la négociation, c’est-à-dire qu’il faut négocier la négociation en soi, de quelle manière on va travailler, on va coopérer, on va échanger, qui va être là, pendant combien de temps, de quelle manière on va prendre les décisions, quels sont les sujets qu’on va aborder, et donc effectivement, il faut négocier la créativité, tout à fait, je te rejoins complètement parce que malgré tout, sans méthode, et là je vais citer Peter Drucker, un des grands experts en management du XXe siècle qui disait, la seule chose qui est naturelle dans le business, c’est le chaos, le désordre, ce n’est pas parce qu’on se laisse porter par la  spontanéité que les choses vont bien marcher, et je pense que surtout en négo complexe, en négo  d’entreprise, en négo commerciale, les choses de manière spontanée ne se passent pas toujours très bien, si on ne planifie pas, si on n’organise pas, les choses n’arrivent pas à bon port

 

 

 

 

Donc créativité, et dans un second temps de cette créativité, ce qui correspond au troisième point, c’est qu’à un moment donné il va falloir trancher, sur qu’est-ce qu’on prend ou pas, et comment on fait pour se mettre d’accord sur quelque chose qui peut être aussi subjectif
Exactement, et c’est là qu’on retrouve ce concept de critères objectifs, ce concept de preuves, justificatifs,  qui est extrêmement important, pas simplement en négociation, il y a beaucoup de travaux de recherche en influence aussi, et on sait bien que l’influence avec des preuves est beaucoup plus puissante qu’avec des opinions, des avis. Et c’est là peut-être la grande différence entre un débat politique et une négo, un débat politique, ce qu’on cherche à la fin, c’est voir la différence de pensée, d’approche, de sensibilité de deux candidats, alors qu’en négo, au contraire, ce qu’on cherche c’est de voir comment à la fin on peut se rapprocher, s’intégrer, on peut potentiellement trouver un accord coopératif. Et on sait qu’un accord coopératif qui est basé sur des critères objectifs, des éléments factuels, est beaucoup plus puissant beaucoup plus fort qu’un accord qui n’est pas basé sur des critères factuels, mais plutôt sur des avis, des opinions, sur des sensibilités. Cette notion me parait très importante

 

est-ce que tu pourrais illustrer ton propos sur ce critère objectif, à quoi ça correspond ? si je veux vendre mon appartement, ma voiture, c’est quoi le critère objectif que je vais avoir là-dessus
En négo, d’une manière générale, je pense qu’il faut éviter certains mots, par exemple les mots, grand, petit, lent, rapide, cher pas cher, ça ne veut rien dire, en subjectif. Par exemple si je veux vendre mon appartement, être factuel, concret, c’est dire, mon appartement fait 70 m2, on est à 350 mètres de la station de métro X Y qui est sur la ligne 6, 5 et sur la ligne 4, nous avons des pharmacies à moins de 300 mètres, des collèges, des écoles, etc. donc c’est factualiser des éléments. En fait tout ce qu’on dit en général peut être factualisé, quand on dit, une société, nous sommes très axés sur l’international, ça ne veut rien dire, par contre si on dit, la dernière année,  on est ?? dans plus de 70 pays, c’est concret, si on peut citer les pays, c’est encore mieux. En fait, l’idée est d’essayer d’aller en permanence vers la capacité à factualiser.

J’en parlais la semaine dernière avec un ami avocat qui était sur un procès un peu complexe entre une salariée et une entreprise, un gros sujet de désaccord, avec des conséquences extrêmement graves pour l’entreprise en cas de  décision contre l’entreprise, et tout l’échange était sur le fait, il me disait, je ne vais rien annoncer que je ne peux pas prouver, parce que si tu avances une idée que tu ne peux pas expliquer de manière factuelle, concrète, cette idée perd toute valeur, ça joue presque contre toi. Donc tout l’objectif en négo, de mon point de vue, encore une fois il y a plein d’écoles de pensée, il y a plein d’approches,  c’est être capable d’expliquer, de justifier tout ce qu’on dit avec des éléments factuels, et ça nous donne une légitimité en négo qui est sans doute beaucoup plus efficace que de partir sur des opinions parce que des opinions, ça donne lieu à un débat, un débat, ça donne lieu à un désaccord potentiellement, et c’est tout le contraire qu’on cherche en négo

 

cette notion de critères objectifs, c’est comme si on escaladait à la règle, on s’en remet à quelque chose qui ne dépend pas de nous, ce que tu disais, je vends mon appartement 100 000 euros parce qu’il fait 10 m2 et que le prix du m2 dans cette rue est à 10 000 euros, ce n’est pas moi, c’est la règle, ça permet de justifier. Ce critère objectif, c’est une règle, ça ne dépend pas de moi ce n’est pas subjectif, mais que faire si mon interlocuteur ne partage pas cette objectivité ou cette légitimité du critère qui dit, moi je ne suis pas d’accord, ou je ne veux pas l’entendre ? comment tu amènes l’autre à un accord quand même, soit parce que cet individu n’est pas en capacité de comprendre le critère,  j’ai des domaines techniques où je suis perdu, tu peux me donner un critère je ne suis pas capable de le comprendre, ça peut être quelqu’un qui est souvent pris d’une  émotion qui va parasiter son système de pensée donc sa décision devient irrationnelle, totalement émotionnelle, donc  il n’est pas en capacité d’entendre. Ça peut être quelqu’un qui ne veut pas reconnaitre ça, qui dit, ça, c’est votre étude, c’est ton expert qui dit ça, moi j’ai une contre-expertise qui dit l’inverse, comment est-ce qu’on fait ?
Effectivement c’est un sacré sujet. Je pense qu’il y a différents niveaux de critères objectifs, il y a des critères objectifs qui sont plus ou moins solides et d’autres qui doivent être un peu moins solides. Premier point, il y a des critères objectifs qui sont indéniables, on ne peut pas aller au-delà. Je prends des exemples factuels, quelqu’un qui vous a envoyé une marchandise plus tard que prévu, c’était prévu pour le 1er octobre, et la marchandise est arrivée le 15 octobre, là on a l’élément factuel concret que vous étiez en retard, il n’y a pas de débat. Ensuite, je reviens sur le point qu’on a évoqué tout à l’heure, on peut négocier quels sont les critères objectifs qu’on va accepter ou pas, est-ce qu’un article de presse est un critère objectif ou pas ? On peut l’accepter ou pas, mais ensuite, quel est le niveau d’un article de presse, ce n’est pas la même chose le New York Times qui va t’annoncer quelque chose niveau worldwide, que la presse régionale, avec beaucoup de respect pour nos amis journalistes de la presse régionale, mais qui peut être un impact beaucoup plus local. Ça touche un peu, de mon point de vue, la question que tu soulèves, quotidienne pour beaucoup de négociateurs, c’est comment faire face à cette… c’est peut-être lié un peu à la mauvaise foi du secteur, également, c’est à dire de dire, moi je n’y crois pas, je n’aime pas ça, je ne suis pas d’accord avec ça, là on part du principe que la négo,  sauf quelques exceptions ponctuelles, est  volontaire,  on négocie parce qu’on veut négocier, ce n’est pas parce qu’on est obligé,  il y a quelques exceptions notamment juridiques, et notamment en droit du travail dans certains contextes, mais en  général la négo est volontaire, c’est parce qu’on a envie de négocier, parce qu’on pense qu’on peut obtenir plus avec son interlocuteur que sans lui, donc si on voit déjà cette mauvaise foi, à mon avis on peut la mettre en lumière, dire, effectivement si pour vous une statistique officielle du ministère de l’Intérieur n’est pas un critère objectif, j’en prends note, mais je ne peux rien faire. On essaie quelque part, non pas de ridiculiser l’autre partie, mais de dévoiler sa mauvaise foi avec des choses qui sont vraiment objectives. Quelqu’un qui dit, vous n’avez pas beaucoup d’expériences à l’international,  on a fait 70 projets l’année dernière, dans 70 pays différents, si pour vous 70 pays ce n’est pas international, on n’est pas obligé d’être d’accord là-dessus. parfois c’est bien aussi d’illustrer

 

Je te donne un exemple. On est intervenu sur une fusion acquisition,  comment est-ce que tu valorises une entreprise, là c’était une règle de calcul par rapport à l’EBE, chacun y va de son critère objectif, le cabinet dit, il faut x multiples de l’EBE sur x années, et l’autre structure dit, non, sur tel environnement pour tel nombre de personnes, on est plus sur un calcul… et chacun y va de sa règle de calcul, chacun essayant d’amener un regard objectif, la réalité c’est qu’il n’y a strictement rien d’objectif dans le calcul de la valorisation d’une entreprise. Et en plus quand tu as le chef d’entreprise qui y met une valeur subjective parce que c’est son bébé, ses employés,  c’est un peu la même chose que les gens qui vendent leur maison ou appartement, si tu ne passes pas par une agence, tu ne le vends jamais au prix du marché , tu le vends sur la valeur que tu donnes à ton bien, mais qui est décorrélée de la valeur réelle. Comment fais-tu pour partager quelque chose avec des gens qui ont des règles de calcul, des critères qui sont légitimes pour eux, mais qui ne sont pas acceptés comme objectifs par les parties prenantes ?
Peut-être que ça passe à nouveau par cette phase préalable de la négo qui est de négocier la négociation, c’est-à-dire qu’avant d’aborder le fond, se mettre d’accord sur quels sont les critères qu’on va aborder. D’ailleurs tu évoquais la négociation de fusion acquisition, et effectivement le premier point dans ce type de négo, c’est de se mettre d’accord sur quelles sont les informations qu’on va partager, celles qu’on ne va pas partager, quelles informations on accepte vraies ou pas vraies,  quels sont les critères objectifs qu’on va accepter, et peut-être qu’on va mettre en place quelques règles de jeu, parce que si on ne se met pas d’accord sur ces règles de jeu, c’est certain qu’on va perdre. C’est évident qu’on ne va pas démarrer un match de foot avec quelqu’un qui dit, non nous on n’a pas de règles, on verra au fur et à mesure, on va décider.

Ce que je suggère, c’est d’être extrêmement formel avec la méthode, et moi qui viens un peu du monde diplomatique,  c’est en tout cas où j’ai démarré ma carrière professionnelle, dans la fonction publique et notamment dans des négociations, dans des projets au niveau international, et cette phase-là est  extrêmement lourde, mais parce qu’on ne veut pas perdre de temps, on ne veut pas se mettre en négo et que la négo n’aboutisse à rien, parce qu’il y a des conséquences en termes d’image, de réputation.  En fait on va passer beaucoup de temps à préparer,  à partager des informations, à s’accorder sur ce qu’on accepte ou pas, pour ensuite arriver à la table de négo avec des règles de jeu qui sont acceptées. Par exemple, le C.A, le nombre d’employés,  les impôts qu’on a payés, le nombre de clients, je n’en sais rien,  on peut en discuter et voir quels sont les critères qu’on peut accepter ou pas, c’est aussi la valeur d’une marque,  il y a aussi des entreprises spécialisées à valoriser la valeur d’une marque, est-ce qu’on peut prendre ou pas cette entreprise qui nous a fait un audit, une expertise. Et ce qui est drôle, pour revenir sur le sujet de Ficher et Ury, c’est qu’aujourd’hui, on est dans un monde beaucoup plus critères objectifs qu’avant, de mon point de vue, les trente dernières années,  l’humanité a produit beaucoup plus d’informations que les 5000 précédentes, on a beaucoup plus d’informations, beaucoup plus de critères objectifs. Là par exemple c’est un élément qui a été étudié récemment sur les négos distancielles, via Teams, et autres, c’est que vu qu’on peut partager beaucoup plus facilement des critères objectifs, il y a une nouvelle confiance qui va s’installer beaucoup plus rapidement de manière paradoxale, on n’a pas le côté face à face, mais en distanciel, on peut partager en quelques minutes, un article du contrat, une statistique, une photo, une vidéo, alors qu’en présentiel mine de rien c’est parfois beaucoup plus compliqué parce qu’on n’a pas  tout sur nous ou on n’a pas envie de perdre

 

la simultanée du transfert de l’information permet de générer un climat de confiance plus facilement que des négos longues, mal organisées en face à face

Disons qu’on peut partager beaucoup plus facilement des preuves, c’est évident, sur l’écran, on peut tout partager, il n’y a rien qu’on ne peut pas partager, on peut partager une image, une vidéo, une stat, un tableau Excel, un contrat, un email. Il y a 30 ans on pouvait dire, je vous envoie ça, je ne l’ai pas ici, je le cherche et je vous l’envoie, aujourd’hui on a du mal à dire je vous enverrai un email que j’ai reçu de votre part il y a trois jours, parce qu’on le cherche sur l’écran. En tout cas ces critères objectifs inspirent la confiance, c’est factuel, c’est la pensée logique,  rationnelle, qui va inspirer aussi cette coopération entre les négociateurs.

 

ça nous amène au 4e point

Qui est cet aspect qu’on peut appeler plutôt relationnel, c’est-à-dire être capable de séparer la personne du problème, et ça, je pense encore une fois, pour revenir un peu sur un point qu’on a évoqué tout à l’heure, c’est que cette notion de relation, de respect, de légitimer le négociateur, est d’autant plus importante aujourd’hui qu’il y a 30 ans. Je pense qu’aujourd’hui on a pris plus que jamais conscience de l’importance du long terme, de l’importance de cet esprit coopératif, de l’idée que mon fournisseur aujourd’hui peut être mon client demain, que mon collègue aujourd’hui peut être mon boss demain, donc cette notion de préserver le lien est extrêmement importante. En quoi ça consiste, pour actualiser un peu ce concept  de séparer la personne du problème, c’est considérer le négociateur que j’ai en face de moi comme un professionnel, qui fait son boulot comme moi je le fais, et en fait il y a un problème de base à résoudre, mais s’il était à ma place, il agirait sans doute comme moi,  moi si j’étais à sa place, je pourrais agir d’une manière similaire à ce qu’il fait, et souvent on prend l’analogie des avocats, des diplomates, qui sont capables de faire la part des choses. Un avocat souvent il est face à un client, il a peut-être un confrère en face de lui pour la partie adverse, mais sur un autre sujet on va se croiser, on est à côté, peut-être qu’on est ensemble, donc il faut avoir cette capacité à ne pas personnaliser, à ne pas rendre personnel un conflit qui finalement est un conflit qui est sur la table. Un peu la même image pour les joueurs de foot, qui vont se battre pendant un match, mais qui après sont des amis, si ça se trouve pendant le Championnat du monde ils vont être dans la même équipe nationale donc ils vont partager les couleurs. Donc être capable de séparer la personne du problème est extrêmement important, notamment dans une optique long terme, on ne sait pas trop ce qu’il va se passer

 

C’est intéressant cette faculté à prendre de la hauteur, sur la négociation, et ne pas manquer de lucidité sur notre interlocuteur qui n’est qu’une surface réflective d’une certaine manière de la situation. Si je devais citer Ury, ça serait monter au balcon, peut-être, on pourrait dire
Oui exactement, monter au balcon pour prendre un peu de perspective.  D’ailleurs on en parlait tout à l’heure, c’est drôle qu’on associe cette expression à Ury alors qu’elle est beaucoup plus ancienne, il y en a eu déjà beaucoup d’autres,  mais comme quoi quand on parle de négo, de leadership, mais dans tous les sujets je pense qu’on peut évoquer, on est toujours inspiré par d’autres personnes

 

tu as la référence initiale de « monter au balcon »
Je penser que c’était Marie Parker Follett, dans les années 20 déjà, qui avait écrit beaucoup sur le management, mais un peu aussi sur la négo, sur le concept de gagner, sur la notion même d’intérêt. Elle s’était un peu projetée sur ces problématiques. C’est vrai que ce sont des concepts plutôt humanistes en fait, quand on pense à ces 4 piliers, il n’y a rien de révolutionnaire, ces 4 piliers sont très logiques, tiennent la route et on se dit, pourquoi ce n’est pas moi qui y ai pensé avant !

Fisher avait 60 ans quand il a écrit getting to yes, et Ury une trentaine d’années, comme tu disais en tout début, c’est un parcours de vie et une grosse maturité de Fischer qui l’a amené au départ à initier ça
Pour les gens qui voudraient découvrir, rentrer un peu plus dans l’univers de la négociation, quels sont pour toi les ouvrages qui t’ont marqué en termes de négo ? des ouvrages, il y en a pléthore, il y en a peu qui sont réellement disruptifs sur la façon de voir la négo
Oui absolument. Si tu me permets, je vais citer quelques ouvrages, mais pas que sur la négo, même si pour moi ils sont liés à la négo. Trois d’abord qui pour moi sont très importants pour bâtir un peu la maison de la négociation, le premier c’est un ouvrage très, très ancien, d’ailleurs je les ai toujours à côté de moi, juste à côté de mon bureau, c’est un ouvrage de 1936, c’est un ouvrage très connu, qui s’appelle « How to win Friends and influence people »,  « comment se faire des amis et influencer les gens », de Dale Carnegie,  et c’est un ouvrage qui a marqué plusieurs générations de managers et de professionnels, et où je pense qu’on retrouve beaucoup de bases de la négociation efficace d’aujourd’hui, c’est-à-dire comment bâtir des relations long terme, comment influencer, comment comprendre les autres, cette notion de comprendre les autres qui est fondamentale. Donc premier ouvrage, 1936

 

qui a énormément inspiré Thierry Dini ( ?), Dale Carnegie
Exactement, et on revient un peu sur cette idée de se redire les choses d’une manière différente, contextualisée, Dale Carnegie qui a une histoire assez fascinante, il voulait être comédien, il n’a pas réussi, du coup il a vu que même s’il n’avait pas réussi à Broadway, il avait quand même des talents de séduction qui pouvaient servir.

Deuxième ouvrage, encore beaucoup plus en arrière, Là c’est au VIe siècle av. J.-C., l’art de la guerre de Sun Tzu, encore un classique, bien sûr il faut le lire avec beaucoup de prudence et beaucoup de distance, parce que ça reste un ouvrage de stratégie miliaire, mais qui a servi quand même beaucoup de choses, entre autres la renaissance du Japon après la deuxième guerre mondiale pour les entreprises, et dans lequel il y a quand même des apprentissages à prendre en compte

 

il y a de très belles métaphores, c’est très cryptique, c’est compliqué à lire, mais il y a des métaphores extrêmement fortes. Je crois que Ury et Fischer citent du Sun Tzu dans getting to yes
C’est encore une fois un ouvrage de référence

Et un troisième, beaucoup plus récent, quoi que, dans cette phase d’ouvrages très négo, qui ont été fondateurs, 94, c’est émotional intelligence , l’intelligence émotionnelle de Goleman, je pense que c’est aussi un ouvrage très important en termes de négociation, l’idée qu’on ne réfléchit pas tous de la même manière, ça touche d’une certaine manière, même si ce n’est pas le sujet, sur tout ce qui est multiculturel, la différence qu’il  y a entre une entreprise et une autre, entre un secteur d’activité et un autre, entre une fonction marketing et une fonction juridique.

Plus sur la négo, on a parlé du Negociation Genius de Bazerman est aussi un ouvrage vraiment très bien

 

cet ouvrage, je trouve qu’il fait encore plus de sens pour des métiers qui sont liés à de la formation à la négociation, parce qu’il structure énormément tout, ça en est presque académique
Oui et avec beaucoup d’exemples, c’est un peu la force américaine,  il y a beaucoup d’exemples, et beaucoup de concret en fait, on peut se projeter tout de suite . je pense qu’effectivement Negociation Genius c’est quand même un ouvrage de référence

Le deuxième, c’est mon top 3 d’aujourd’hui, ça peut être un top 3 différent demain, c’est, The Art of negociation, j’ai un peu piqué le titre quand même pour mon bouquin de Michael Wheeler, où il fait une analogie que je trouve très pertinente, de plus en plus aujourd’hui, entre la négo et le jazz. J’aime beaucoup la musique et j’adore le jazz, et en jazz, il y a beaucoup d’impros, mais l’impro, ça ne veut pas dire faire n’importe quoi, l’impro c’est, dans un moment donné, faire quelque chose qui va sortir du cadre, pour revenir sur une structure qui était fixée à l’avance. Et je trouve que Michael Wheeler qui est un prof de La Harvard Business School apporte beaucoup de choses avec cet ouvrage, et le sous-titre est très révélateur

 

Michael Wheeler a énormément travaillé sur les émotions,  j’ai suivi son travail qui est vraiment passionnant
Oui, et j’ai beaucoup aimé le sous-titre de cet ouvrage, avant de le lire, qui était comment improviser les accords dans un monde chaotique. Et si on prend en compte que ça a été publié, c’est récent quand même, il y a quelques années, 2013, tout ce qu’il s’est passé depuis, le covid, toutes les crises qu’on a aujourd’hui, financières, matières premières, Ukraine, Russie, et tout ça, on imagine le monde chaotique d’aujourd’hui, je pense que 10 ans plus tard, c’est encore plus chaotique que 2013.

Et le troisième, c’est le getting to yes, on va rendre hommage quand même à un ouvrage qui a été fondateur, et pour beaucoup, et moi ça m’émeut beaucoup encore, je voyage beaucoup moins aujourd’hui qu’à l’époque,  avant le covid je voyageais énormément, aujourd’hui je fais beaucoup de remote, mais ça me donne beaucoup d’émotion de voir que getting to yes est toujours vendu dans les aéroports du monde entier, et je trouve que c’est très inspirant, un ouvrage qui a formé plusieurs générations, plusieurs milliers, pour ne pas dire  millions de négociateurs,  et qui est toujours un ouvrage facile à trouver, un ouvrage de référence qui est souvent cité, et qui a marqué les esprits de beaucoup d’experts après 1980

 

et on oublie Bruce Patton qui était aussi coauteur
Bruce Patton, exactement

 

OK la lecture ça permet de comprendre, de monter en compétences, mais pour les gens qui vont nous écouter, qui ont cette appétence à la négociation, dans ton référentiel, qu’est-ce qui fait qu’on arrive à être expert en négociation ?
C’est une sacrée question, d’abord je pense qu’on ne peut pas s’appeler soi-même expert, c’est les autres qui doivent nous reconnaitre en tant qu’expert, et je pense que c’est un ensemble d’éléments, une légitimité, et une crédibilité, sans doute, être légitime par rapport à ce qu’on dit et ce qu’on fait, mais aussi être crédible, c’est-à-dire avoir..

 

Ce qui fait qu’on devient légitime
Je pense qu’il y a deux choses, quelle est la base, le bloc, le socle de ton expertise, en quoi est-ce que tu peux apporter quelque chose. Et deuxièmement quelle est l’expérience que tu as là-dessus. En fait c’est un mélange entre un parcours, si tu me permets d’être un peu concret, un parcours académique,  de recherches, de formations personnelles, et professionnelles, mais également une expérience, une expertise de terrain, d’accompagnement de négo professionnelle, d’entreprises

 

comment tu fais pour l’avoir justement ? c’est le serpent qui se mord la queue, si je n’y vais pas, je ne gagne pas cette expertise, cette légitimité, mais d’un autre côté je ne peux pas l’avoir si je ne l’ai pas fait,  comment j’y vais ?
Je pense qu’il faut nourrir en permanence les deux,  c’est-à-dire qu’il faut être en permanence dans un apprentissage personnel, ce que tu fais beaucoup mieux que moi, d’être en contact avec des experts,  en contact avec le monde académique, le monde universitaire, le monde professionnel également, mais également  avec ce qui est publié, les articles, la recherche. Donc d’une part se nourrir en permanence, et d’autre part, être en contact avec le monde réel, c’est-à-dire accompagner des professionnels, être sur le terrain, être sur des négos complexes, difficiles, et il y a une synergie qui va faire que ce que tu apprends avec des bouquins, avec la recherche, avec le monde académique va avoir un impact sur le terrain,  et ce que tu apprends sur le terrain peut avoir un impact sur tes recherches académiques. Je prends souvent l’analogie des artistes, quand on prend un génie comme Bob Dylan, il a eu plein de carrières, un peu comme Picasso, parce qu’il n’a jamais cessé de se former, d’apprendre, d’écouter, et il intègre dans son parcours, dans sa carrière, ce qu’il a fait avant, mais surtout ce qui le motive aujourd’hui. La négo c’est un peu la même chose, il faut se nourrir en permanence, il faut être un peu obsédé, je pense pour réussir

 

pour se démarquer, la définition de réussite appartient à chacun, mais je suis d’accord. Je pense que j’ai lu pas loin de centaines d’ouvrages et cet été je me suis encore tapé 20 25 ouvrages, mais quand tu es passionné,  mon temps libre c’est du temps où j’aime ça. Là j’ai un avion dans 23h, j’ai pris un livre que je vais relire, c’est un des derniers de Ury, que j’ai déjà lu, mais que je voulais relire, par rapport à son non
The power of positiv no

 

cette notion d’expertise, j’ai un copain qui fait du mentalisme et qui me disait, pour lui l’expertise c’est la personne qui a survécu à l’expérience, et je trouvais que c’était une façon très jolie de le dire. À partir du moment où tu aides ton prochain,  sans avoir de doctorat, on s’en fout, tu aides ton voisin à mieux négocier parce que le sujet t’intéresse, tu gagnes en expertise et tu gagnes en légitimité, et la légitimité c’est lui qui va nous la donner, on n’a pas besoin d’aller la chercher. À partir du moment où on aide les autres à devenir de meilleures versions d’eux-mêmes sur la négo,  ça participe à ça, je vois les choses comme ça très simplement
Bien sûr. Et il y a une notion malgré tout, de temps, je pense qu’il faut, comme le disait Picasso, il faut vivre très longtemps pour être jeune,  il faut être plusieurs années pour être jeune, et je pense aussi qu’il y a cette notion d’avoir vécu  des expériences, d’avoir pu confronter la théorie avec la pratique, la pratique et la théorie et mine de rien, ce n’est pas par hasard qu’avec les années on acquiert des compétences, une sérénité, une perspective, une vision plus large de la négo, que celle qu’on avait.  Tu m’aurais demandé mes bouquins sur la négo il y a 10 ans, je n’aurais pas cité d’autres bouquins que sur la négo, aujourd’hui pour moi on ne peut pas aborder la négo sans cette complexité, c’est quand même une réalité extrêmement éclectique, c’est très polymorphe la négo,  et je pense que les années, la maturité, les expériences de vie, personnelles,  professionnelles, nous donnent une perspective qui nous permet d’enrichir au jour le jour notre expertise en tant que négociateur

 

Je ne pourrais pas dire mieux. Je me rends compte qu’un tiers de mes livres, c’est des ouvrages de psychologie, sur les neurosciences, trucs qui n’ont rien à voir. J’ai acheté un ouvrage que j’ai trouvé passionnant sur l’UX, l’expérience dans le gaming, des joueurs, écrit par une Française qui a participé à des jeux vidéo américains, j’ai trouvé ça incroyable, mais pour la négociation en plus, c’est une compréhension du mode de fonctionnement du cerveau, de ses mécanismes de décision, c’était passionnant. Quand tu ouvres à d’autres champs des possibles, tu vas y trouver des pépites

Donc pour arriver à cette expertise en négo pour toi c’est monter en compétences, en socle académique, et après c’est faire, faire et faire
Absolument, la négo c’est quand même extrêmement pratique, ça exige à mon avis, mais en même temps, le paradoxe, il y a beaucoup de sciences, beaucoup de recherches, beaucoup de travaux qui ont été faits, donc pour moi c’est le mélange des deux, c’est-à-dire avoir une bonne technicité sur ce qui a été écrit, publié, sur ce qui a été recherché, ce qui a été obtenu en tant que résultats, et essayer d’appliquer ça dans le monde pratique, réel, dans le monde de la négociation, par exemple pour ce qui me concerne, plutôt business, dans le monde de l’entreprise, mais pour lequel il y a un véritable besoin d’accompagnement, de structuration et de  méthodologie.

 

Cette méthodologie que tu nous as partagée, c’est quand même 1980, c’est 40 ans, il y a pas mal de choses qui ont été écrites. Dans quelle mesure pour toi c’est encore d’actualité?
Mon point de vue perso, j’espère ne pas choquer tes auditeurs, c’est encore plus d’actualité que 1980. Je pense que ça a été un ouvrage quelque part qui a un peu anticipé une tendance, mais si on observe aujourd’hui les entreprises les plus successfull, on a tous en tête des noms, ce n’est même pas la peine de les citer, des grands groupes internationaux, des startups qui ont vraiment réussi, ce sont des entreprises avec des modèles extrêmement collaboratifs en fait. Et cette approche, dans laquelle on cherche à être gagnant-gagnant des deux côtés, donc à préserver le lien, à être factuel, à être dans la créativité, est une méthode à mon avis de pleine actualité. Donc je pense que dans un monde où on se projette de plus en plus sur le long terme, sur la coopération, on se projette de plus en plus sur la notion de confiance, sur la notion de bâtir ensemble quelque chose, je pense que cette méthode a toute sa place. Effectivement il faut la revoir, l’actualiser, il faut utiliser les outils qui vont avec, parce que même les exemples qu’on pouvait prendre à l’époque ne sont pas les mêmes aujourd’hui, le monde n’est pas le même aujourd’hui, mais l’essence, l’ADN qu’on peut retrouver dans cet ouvrage, je pense qu’il reste toujours d’actualité,  comme la rhétorique d’Aristote ou comme des ouvrages fondateurs qui ont parcouru des siècles, des millénaires est qui sont toujours d’actualité aujourd’hui. Quand on parle d’un ouvrage fondateur, l’avantage c’est qu’on peut le lire en permanence, et on va toujours trouver des choses pour l’accrocher à l’actualité du moment

 

 

 

Je lisais un livre il y a une dizaine de jours, et son début était de dire que ce qui fonctionnait dans la négociation dans les années 90, aujourd’hui ne fonctionne plus, et il faut changer ses méthodes de négo. Et je n’étais pas du tout d’accord , déjà parce que la compréhension de la négo était assimilée à une forme de marchandage, et il était sur des ?? qui fonctionnaient effectivement peut-être plus facilement dans les années 90 et qui aujourd’hui fonctionnent moins. Mais quand tu vas sur les fondamentaux comme tu le dis, ces fondamentaux sont toujours les mêmes, l’être humain fonctionne toujours de la même manière, quand tu parles de logique coopérative, forcément ça me fait penser à tout ce qui est théorie des jeux, et travaux de Robert Axelrod, comment tu passes de cet équilibre de Nash qui est extrêmement compétitif, où tu es seul contre tous, qui est presque une remise en cause des travaux d’Adam Smith en 76, avec sa théorie de la main invisible, à cette stratégie du Win-Win, dans le sens donnant-donnant telle que Robert Axelrod l’exprime, où tu as besoin du collectif pour produire davantage. C’est presque du bon sens, on est presque sur l’ordre du truisme, mais tu te rends compte que dans la négo, chassez le naturel, il revient au galop, les gens rapidement ont cette volonté de gagner contre.

Donc je suis entièrement d’accord, ce qui fonctionnait hier, dès que tu es sur des concepts forts, c’est toujours d’actualité
Pour terminer le podcast, si le Éduard d’aujourd’hui rencontrait le Éduard d’il y a 20 ans, quel conseil lui donnerais-tu ?

Je lui dirais que le temps passe vite, donc de ne pas perdre beaucoup de temps. Il ne faut pas perdre de temps, donc il faut faire des choses qui nous amusent, qui nous intéressent, des choses qui nous apportent, et s’il y a une chose qui ne nous intéresse pas trop, qui ne nous excite pas trop, il ne faut pas perdre de temps, il faut zapper vite. On a parlé beaucoup d’ouvrages, mais je tiens à dire aussi, j’ai arrêté de lire plus d’ouvrages que j’ai lus jusqu’au bout, donc je pense qu’à un moment il faut avoir la liberté de se dire, il y a un ouvrage qui m’emmerde, je ne comprends pas trop, le ton et le rythme ne m’intéressent pas trop, les exemples ne sont pas trop pertinents, donc il faut arrêter de perdre du temps, que ce soit à lire des choses qui ne nous intéressent pas, à voir des films qui ne sont pas bons. On a peur parfois d’arrêter un truc qui ne nous plait pas, pourquoi ? Je pense que c’est important de prendre en conscience que le temps passe vite, une journée, c’est 24 heures,  et donc il faut se consacrer à l’essentiel. Si j’avais su que je pouvais être plus efficace avec… j’aurais peut-être passé plus de temps sur les ouvrages qui m’intéressaient plus, sur les actualités professionnelles et personnelles, et ne pas perdre du temps à tenter des aventures qui n’ont pas marché, mais qu’il fallait faire.

Le conseil c’est, ne perd pas ton temps, le temps passe vite ! il faut être efficace

 

Paradoxalement dans la négociation, si vous voulez ne pas perdre de temps, investissez, j’ai eu la chance, le privilège d’échanger avec William Ury, il m’avait dit ça, pour gagner du temps dans la négociation il faut investir beaucoup de temps dans la préparation et dans la création du lien, sur la dimension des personnes. Plus tu vas t’intéresser à la personne et plus tu vas gagner du temps derrière sur la résolution du problème. Pour être dans la ligne de ce que tu viens de dire

Éduard, les gens peuvent te retrouver sur LinkedIn, et tu as un site aussi ?
Sur LinkedIn exactement et un site web également. LinkedIn ça marche très bien, c’est une manière de rester en contact avec les gens, j’aime beaucoup LinkedIn. Et un site web, et sur les réseaux sociaux aussi, j’essaie d’être présent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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