Comment définir le problème pour mieux le résoudre ? Benjamin Sylvand

Bonjour à tous, je m’appelle Julien Pelabere et je suis négociateur professionnel. Mon métier, c’est de former, d’accompagner et d’assister des entreprises et organisations à la conduite de leurs négociations les plus sensibles et les plus complexes. Bienvenue dans Pourparler, le podcast de la négociation. Notre ambition est simple : vous donner des clés de compréhension pour mieux négocier, mieux négocier pour un meilleur futur professionnel et personnel. Aujourd’hui, j’ai la chance d’avoir en invité Benjamin Sylvand. Bonjour Benjamin.

Bonjour Julien.

Comment est-ce que tu vas ?

Très bien, merci.

Top ! Est-ce que tu peux te présenter Benjamin et nous dire qui tu es pour les personnes qui ne te connaissent pas encore s’il te plait ? Tu as un parcours assez atypique, que je trouve très intéressant sur le sujet de la négociation et par rapport au métier que tu exerces aujourd’hui.  

La question n’est jamais simple. Je suis négociateur, c’est ce qui nous fait nous rencontrer. Je suis négociateur de conflit donc j’interviens sur les conflits, j’interviens aussi sur la gestion de crise et ça se décline sur du conseil, de l’intervention et de la formation. Je suis également coach et superviseur, ce qui me permet d’accompagner les dirigeants, les décideurs, les équipes, les organisations en situation d’incertitude et de complexité ; que ce soient des crises, des conflits, des transformations, donc finalement de faire face à de l’inattendu, à cet environnement d’incertitude ; à reprendre la main, l’initiative dans la situation afin de pouvoir agir sur des situations qui ont finalement tendance à nous tétaniser.

Et avant ça, en parallèle, un doctorat.

J’ai un doctorat de philosophie des sciences cognitives qui remonte à l’époque où les sciences cognitives n’étaient pas encore structurées comme discipline, donc ça remonte un petit peu, mais déjà un petit peu sur ces questions de transformation, de changer d’état d’esprit ou de manière de penser dans les interactions avec les autres. Un parcours d’enseignement universitaire, de recherche et un passage par deux grandes entreprises internationales pour rentrer dans le terrain, et depuis 2017, j’ai fondé Coach-Nego, donc j’interviens en indépendant et en support, en collaboration avec des cabinets de gestion de crise, de négociation.

Je trouve que c’est vraiment intéressant de souligner ce doctorat parce qu’on a l’occasion d’échanger régulièrement sur le sujet de la négociation, tu as écrit certaines choses et je trouve que dans ton écriture, dans ta façon de poser le problème, on sent qu’il y a un vrai travail derrière, une vraie réflexion et ça va nous amener aujourd’hui à traiter ce sujet qui est le problème, parce qu’on a plusieurs dimensions dans la négociation : on a les parties prenantes, les personnes, on a le processus qui est la négociation en tant que telle et puis tout à l’heure, tu as parlé de coaching ou de médiation, qui sont d’une certaine manière une façon d’appréhender le processus sur la résolution du conflit, et puis on a vraiment l’élément central qui est le problème, le désaccord, le conflit, je ne sais pas comment on va exprimer ça. Est-ce que tu peux nous donner un petit peu plus de matière : c’est quoi cette dimension du problème, comment est-ce qu’elle se caractérise et puis, on va y arriver, mais généralement quand on est capable de bien définir un problème, c’est peut-être aussi plus simple de le résoudre ?  

Effectivement et c’est souvent le nœud de la situation je pense, parce que le conflit, le désaccord, c’est finalement qu’entre différentes parties prenantes, on ne voit pas la situation de la même manière. On a une manière de l’appréhender, de la percevoir qui est différente et c’est dans cette distance, dans ce différent, qu’apparait une interaction difficile, compliquée ou complexe et qu’il y a conflit. L’un des réflexes que l’on peut avoir c’est : il faut trouver une solution.

Et ce n’est pas un bon réflexe ?

C’est rarement pertinent dans une situation d’incertitude ou de conflit. Pourquoi ? Parce qu’il suffit que les différentes parties prenantes arrivent chacune avec leur solution pour que ça ne fasse que rajouter de l’huile sur le feu, tomber dans ce que l’on appelle le positionnisme. Quelqu’un va dire : non, c’est ça qu’il faut faire, ce qui peut être tout à fait légitime et cohérent avec son cadre de référence, mais qui ne l’est pas forcément dans un cadre partagé. Souvent, quand j’interviens, c’est que les parties ont de très bonnes idées et de très bonnes solutions, elles peuvent m’expliquer par A+B que c’est la meilleure à appliquer, mais en fait les autres n’entendent pas, ne peuvent pas entendre, ne peuvent pas comprendre cette solution, ne peuvent pas l’accepter et finalement, l’interaction reste bloquée. Une question que j’aime bien poser dans ces cas-là, c’est : c’est quoi le problème en fait ?

C’est vraiment intéressant. Quand tu dis qu’on ne voit pas le conflit de la même manière et même si on le voyait de la même manière, j’ai envie de te dire que le conflit pourrait interroger sur des intérêts, des besoins qui sont différents ?

Exactement.

Comme d’un point de vue identitaire, tu es différent de moi, tu as d’autres besoins que moi, eh bien, c’est peut-être ça aussi la source du conflit, on veut chacun le meilleur de la situation, mais ce n’est pas la même chose.  

Ce n’est pas la même chose. On peut poser le problème de manière théorique, abstraite, dans une étude de cas, ça pourrait être intéressant. Dans une situation, on est toujours entre des personnes ou avec des personnes, et le problème, c’est : qu’est-ce qui pose problème pour vous ? Ça rejoint : c’est quoi votre demande ? C’est quoi votre besoin ? Qu’est-ce qui fait que dans cette situation, vous n’êtes pas satisfait, d’une manière ou d’une autre ? Qu’est-ce qui fait que vous ne pouvez pas agir, interagir de la manière dont vous le souhaitez ? Donc, quelle est votre demande ? Quel est votre besoin ? Et on va faire un grand travail pour formaliser, expliciter la demande, ce qui pose problème pour vous, que l’on va pouvoir problématiser aussi dans l’échange avec les différentes parties prenantes, et ça, ça fait ressortir, ça explicite tout le système de référence, tout le cadre de référence, les valeurs de chaque partie prenante, ce qui est important pour elles, les attentes, des questions de loyauté qui peuvent être à l’œuvre. Avant même de pouvoir formaliser clairement ce qui pose problème, on peut déjà s’apercevoir que l’autre a un point de vue différent et qu’il est légitime dans son point de vue. Il a plein de raisons de penser ce qu’il pense, d’agir comme il agit. Que ce soit bien ou pas, qu’importe ! Ce n’est pas le sujet. Si elle se comporte de cette manière-là, c’est que pour elle, c’est pertinent à ce moment-là et peut-être qu’elle en est consciente : je ne sais pas faire, j’ai des lacunes. Donc, qu’est-ce qui pour toi te pose problème dans cette situation ? Effectivement, ça fait ressortir la demande, le besoin, et tu vois qu’on commence déjà à toucher le fait que le problème est incarné. C’est un problème pour une personne, dans une situation donnée, dans une interaction dans son environnement ou avec d’autres personnes.

C’est intéressant. Tu as cette notion d’unicité : unicité de temps, d’action et de personne.

Parce que c’est une situation. C’est cette interaction-là, cette superposition de points de vue polarisés qui fait que ça bouche à un moment donné l’espace des possibles, des solutions ensemble, et que ça coince.

C’est intéressant, si je reprends un concept qui est vieux, d’Harvard, c’est-à-dire que le problème n’est pas la personne, il faut différencier le problème de la personne, toi tu dis que c’est dans l’interaction qu’est le problème. Le problème se matérialise dans cette notion de frottement à l’autre. 

C’est la petite analogie des filtres polarisés que je connais. Ça permet de dire que le problème n’est pas dans les personnes, n’est pas essentiel, mais le problème vient du fait que la personne peut le prendre pour elle-même, peut le prendre personnellement. C’est là que ça rajoute un nœud, mais c’est dans une interaction, c’est-à-dire que c’est dans l’échange, dans le dialogue qu’on peut essayer de le trouver. Ça implique aussi que la solution au problème, ce qui va dissoudre le conflit, ce qui fait qu’il n’y aura plus de conflit, implique nécessairement l’ensemble des parties prenantes.

Donc la solution n’est pas l’autre non plus.

La solution n’est pas l’autre non plus.

C’est dans la confrontation ou dans le processus que l’on va mettre en place pour le solutionner ?

Exactement. Et ça ne veut pas dire non plus que c’est un consensus, on ne va pas nécessairement faire la moyenne de tout ça, peut-être qu’on va se rallier au point de vue de l’un, peut-être qu’on va imaginer un autre point de vue qui n’avait pas été imaginé jusque-là, mais ça veut dire ensemble. C’est-à-dire que cette interaction-là, on arrive à la débloquer et la débloquer ça peut, dans certaines situations, vouloir dire qu’on rompt la relation. On est d’accord qu’on n’arrivera jamais à être d’accord, ce qui peut être une issue possible de résolution de conflit.

On est d’accord sur le désaccord et donc on prend le parti de ne plus être confronté à l’interaction à l’autre qui génère ce problème.  

Voilà. Et tu vois qu’être d’accord sur le désaccord, c’est déjà un énorme pas en avant.

Complètement. C’est une reconnaissance du point de vue de l’autre.

C’est une reconnaissance du point de vue de l’autre ou que l’autre a un point de vue différent au moins du nôtre, peut-être qu’on ne l’a pas encore identifié en tant que tel, et l’autre rentre dans l’équation. Il n’y aurait rien de pire qu’une situation où on nie l’autre, où on est complètement indifférent à l’autre et où finalement, on ne le fait même pas rentrer dans l’équation de résolution en fait.

Oui, c’est intéressant parce que la négociation, c’est intégrer l’autre dans le processus de décision. C’est vraiment intéressant cette notion de réflexe qui serait de trouver une solution. Toi, tu dis qu’en fait, ce n’est pas que ce n’est pas bon de trouver une solution, mais que si on le fait trop tôt, on arrive sur cette notion d’argumentation / contrargumentation, de joute verbale, et donc on peut avoir un accord, mais ce n’est pas forcément un accord au mieux disant. Le premier réflexe que l’on a, c’est vraiment de prendre en considération la parole de l’autre, d’écouter, de comprendre et de poser le problème.

Et arriver avec une solution, c’est un petit peu comme arriver avec une clé et se dire : je sais que ça ouvre une serrure, mais je ne sais pas laquelle. Certains arrivent même en disant : j’ai un trousseau de clés, mais je ne sais pas si ça ouvre une porte. Le problème, c’est quoi ? C’est que tu es face à une porte que tu n’arrives pas à ouvrir : j’ai besoin d’ouvrir cette serrure-là, mais peut-être que le problème c’est d’ouvrir la serrure ? D’ouvrir la porte ? C’est d’entrer ? Poser le problème permet d’ouvrir un champ de solutions possibles que tu n’avais pas nécessairement imaginées et peut-être que la clé que tu apportes, tu n’en feras rien parce qu’elle n’a rien à voir avec cette serrure-là.

C’est vraiment intéressant ce que tu dis parce que j’ai l’impression que plus on avance dans l’analyse de façon générale et plus on a l’impression d’avoir une clé pour les portes de l’autre, et peut-être qu’on prend moins de temps pour bien définir le problème, bien le poser. Le risque, ce n’est pas de ne pas ouvrir la porte, c’est de perdre énormément de temps. Si je reprends ton analogie, c’est de forcer pour ouvrir la porte en étant persuadé que c’est la bonne solution et de faire face à un échec alors qu’on y investit beaucoup de temps, d’énergie. Je pense à des réponses à appels d’offres pendant lesquelles j’ai accompagné des gens qui étaient persuadés d’avoir la bonne réponse mais qui n’avaient pas fait ce travail en amont de définition du problème, et plus un événement est inattendu, plus son impact est important. On a perdu l’appel d’offres alors qu’on était persuadé de la gagner, grosse surprise ! Ça nous renvoie d’une certaine manière à une posture d’humilité ce que tu dis ?  

C’est une posture d’humilité dans des situations d’incertitude. Ça ne veut pas dire que les clés ne marchent jamais. La clé représente en fait les certitudes que l’on peut avoir. Dans une situation d’incertitude, arriver avec une certitude ne fait que rajouter du bruit à la complexité du système plutôt que d’avoir cette posture et de se dire : là, je ne suis pas sûr d’avoir la bonne clé, peut-être que je l’ai, peut-être que je ne l’ai pas, mais je peux crocheter la serrure, je peux défoncer la porte, je peux rebrousser chemin, je peux juste frapper à la porte et demander à la personne derrière de m’ouvrir, peut-être que je peux fabriquer une clé, peut-être que je peux appeler un serrurier, il y a plein d’autres solutions possibles si tu veux. Mais si tu es campé sur tes certitudes, on va revenir sur : moi j’ai la bonne solution, c’est à l’autre de bouger, c’est à l’autre de s’adapter.

Donc déjà définir cette notion de « pourquoi » avant d’aller sur les différentes options que l’on va avoir ou les différents objectifs que l’on va pouvoir mettre en place pour satisfaire le besoin. Très rapidement, tu as utilisé un mot qui n’est pas forcément évident pour tout le monde, tu as parlé de « bruit », est-ce que tu peux nous dire en quelques mots ce qu’est cette notion de bruit s’il te plait ?  

Je m’excuse parce que la définition n’est certainement pas la plus canonique, mais ça va avec les biais cognitifs. Les biais cognitifs c’est un petit peu les travers que l’on a.

Les raccourcis intuitifs.

Les raccourcis que l’on peut prendre, et le bruit c’est un petit peu tout ce qu’on rajoute ou tout ce qui se rajoute dans l’analyse de la situation qui n’accompagne pas la situation. Donc il y a un peu toutes les certitudes, tous les autres biais que l’on pourrait mettre dedans et qui font qu’on a soit tendance à aller vers nos propres biais, soit à traiter le mauvais problème, le problème d’à côté.

C’est aléatoire en fait.  

C’est aléatoire et ça élargit tellement l’espace que l’on ne sait plus ce qui est possible ou pas.

Il y avait une petite métaphore de la balance par Kahneman sur le biais et le bruit. Le biais, c’est que tu montes sur ta balance, elle fait plus 5 kilos, je monte sur ta balance, elle fait plus 5 kilos donc en fait elle est biaisée. A des inputs différents, l’ouptut sera toujours dans la même direction. Et la notion de bruité, notamment sur une balance, c’est que tu montes sur la balance, +5, je monte sur la même balance, -2 kilos, ton voisin monte dessus, pile-poil le bon bruit. C’est vraiment un côté très aléatoire, c’est-à-dire que sur des inputs différents, on va avoir des outputs qui seront différents.

 Et ça noie complètement le rapport d’évaluation. Vous avez l’exemple des cibles dans lesquelles on tire et si on n’a pas la cible qui a été dessinée, on est incapable de savoir si ça a été dans le mile ou pas.

Top, on referme la parenthèse sur ça mais si les gens veulent regarder, il y a notamment les travaux de Daniel Kahneman avec Olivier Sibony qui est professeur à HEC.

Ils viennent de sortir un livre cette année je crois.

Il y a quelques mois, même pas, ça s’appelle Noise, le bruit, qu’on vous invite à regarder et qui est un excellent livre. Top ! Sur cette notion du problème, tu poses la question : c’est quoi le problème, et après, quelle est cette prochaine étape une fois que je suis en interaction avec l’autre et que j’ai défini le problème ? Je crois que dans ton travail il y a une notion d’existant qui va arriver ?

Oui. Alors, là, je dois dire qu’il y a peut-être 3 volets qu’on abordera. Il y a un côté peut-être théorique. J’explique que finalement poser le problème permet de poser l’objectif commun partagé, l’EFT, l’état final partagé, qui est un peu l’horizon : voilà ce qu’on pourrait atteindre au mieux ou pas, ce qui pourrait être proposé comme étant une solution idéale, et il va y avoir un travail sur la manière dont on concrétise ça, en le décortiquant, en le séquençant en projets collectifs qui eux-mêmes vont s’établir en actions conjointes. On arrive à l’approche de l’alpiniste : je veux atteindre le sommet et pour ce faire, je vais faire des segments de corvée et je vais commencer à passer à l’action. Ça, ce serait un peu l’approche théorique qu’on peut mettre sur le papier.

Est-ce qu’on peut juste rester là-dessus parce que c’est intéressant. Tu dis qu’une fois qu’on a défini le problème, cette notion de « pourquoi » et cette ligne de crête, cet équilibre sur lequel on veut aller – je prends la métaphore de l’alpinisme – l’idée, sur cette ligne de crête, c’est d’aller définir différentes actions que l’on va mettre en place pour tendre vers cet état final partagé, vers cette vision peut-être même idéalisée voire cette chimère du sujet, c’est ça ?

 C’est ça. L’objectif que l’on peut retrouver dans le monde de l’entreprise, ça peut être la vision que l’on se donne, etc., c’est un horizon idéal en fait, c’est la liste au Père Noël, voilà ce qu’on aimerait avoir en définitive, mais qui, comme il est posé comme un idéal, est extrêmement difficile à quantifier. On peut mettre quelques indicateurs, mais c’est très difficile à quantifier. C’est-à-dire : OK, on est tous d’accord pour aller là-bas, mais concrètement, on y va comment ? Et le saint des saints en projets collectifs, c’est-à-dire en étapes qui vont pouvoir le faire, on revient aux méthodes smart : la première étape, c’est ça, la deuxième étape, c’est ça. Parfois, ça ressemble à des grands tableaux de comptes, mais ce séquençage nous permet de mettre des jalons que l’on va pouvoir évaluer avec des ressources, des besoins, donc ça devient plus concret, ce qui permet aussi en définitive, une fois que le projet est réalisé, qu’on l’a fait effectivement, qu’on obtient un résultat – et ce résultat on ne peut pas le prédire a priori, on peut l’espérer, on peut l’escompter a priori – de pouvoir à un moment évaluer où on en est, et peut-être qu’on va pouvoir le faire avec le différentiel par rapport à l’objectif qu’on s’était fixé, mais ce qui compte, c’est qu’on est dans le concret et qu’on arrive à avancer. Ce qui est intéressant là-dedans, c’est que c’est là qu’on va se frotter à la réalité finalement, c’est là qu’on va devoir faire des ajustements, des compromis, que l’on va devoir se dire : l’idéal, c’est bien, mais finalement le mieux de ce que l’on peut réaliser au moment donné, c’est encore mieux parce que là on avance en fait. On ne reste pas dans son canapé à imaginer des choses, on fait des premiers pas.

C’est vraiment intéressant. Nous, cette notion que l’on a de ligne de crête, d’horizon, qui est l’EFP, l’état final partagé, nous vient du vocabulaire militaire qui est l’EFR : l’état final recherché. Pour avoir l’occasion d’échanger très régulièrement dans mon travail, notamment avec les forces spéciales, c’est intéressant parce que dans le War Room, derrière cet EFR, ils ont des tableaux avec des jalons extrêmement précis de qui fait quoi sur la tâche avec quand même une colonne « What If », c’est-à-dire qu’est-ce qu’il se passe si ça ne se passe pas bien. C’est une sorte d’analyse pre-mortem : je vais du point A au point B en canoé kayak, qu’est-ce qu’il se passe si le moteur tombe en panne ?

Dans la gestion de crise, c’est ce qu’on l’appelle les scénarios d’évolution.

Et après c’est listé : qui fait quoi de façon très concrète. Je trouve que c’est vraiment intéressant parce que ça te permet d’avoir une sorte de road map. Ça marche très bien dans le monde de l’entreprise.

C’est quelque chose qui est très concret et qui permet d’avancer. Donc ça fait effectivement des road maps et comme tu dis, ça permet de séquencer, de dire : voilà, on va faire cette étape, de quelles ressources a-t-on besoin pour le faire et qui s’y colle. C’est là qu’on a des actions conjointes, c’est-à-dire que parfois, on a plusieurs personnes qui vont contribuer à faire quelque chose et c’est la conjonction et l’adéquation entre ces actions. Sidney Lumet avait une très belle définition du directeur de film, du réalisateur : c’est celui qui s’assure que tout le monde fait bien le même film. Ça ne veut pas dire que tout le monde fait la même chose, mais on doit s’assurer que les pièces du puzzle s’assemblent bien et c’est là qu’on a une coordination. C’est-à-dire que cette adéquation, cette conjonction d’actions entre les personnes implique qu’il y ait une forme de coordination, de facilitation et là on construit le plan plutôt que d’avoir fait un super plan a priori.

Et c’est plus simple si on s’est mis d’accord sur le « pourquoi », parce qu’après, même si on n’est pas d’accord sur le « comment », le « quoi », les critères ou les options qu’on retrouve en négociation, on peut toujours revenir sur ce petit dénominateur commun qui est ce « pourquoi on est là ».

Et il y a une autre chose qui est très importante et qui sous-tend ce que tu dis, c’est que si on est d’accord sur le pourquoi – rien que le mot, le pour quoi – ça permet aussi d’enlever les contraintes sur le comment. Ça permet de dire aussi que chacun peut contribuer ou peut s’engager dans le comment et c’est là qu’on peut avoir des innovations. Chacun peut dire : tiens, si on faisait ça un peu différemment ? Moi j’ai appris à le faire comme ça, etc. On peut s’enrichir mutuellement sachant que tout le monde va apporter sa pierre à un objectif qui est bien commun. On sait l’état qu’on cherche. Et ça, je dirais que c’est un peu l’approche théorique, telle qu’on peut l’enseigner en disant : voilà ce qu’il faudrait faire.

En plus, la notion d’innovation ne peut venir que de ta capacité à avoir un désaccord avec l’autre, parce que la créativité ou l’innovation n’intervient que dans un cadre qui le lui permet. Si tout était libre, tu aurais moins cette notion de créativité et d’innovation. C’est parce que je te dis : Benjamin, j’entends ce que tu dis et en même temps, est-ce que ce serait absurde de le faire de telle manière, qu’on va commencer à créer, innover. C’est vraiment intéressant. Cet aspect, on en a parlé quelques secondes avant de démarrer l’enregistrement, est-ce qu’on ne peut pas dire, pour reprendre un terme qu’on retrouve en négociation, que c’est une forme d’ancrage en fait ?         

C’est une forme d’ancrage et c’est une forme d’ancrage numéraire et qui appelle cet échange, c’est-à-dire qu’on pose ça et on va le challenger. Ce n’est pas le résultat, ce n’est pas la solution, c’est un point qui permet d’aller investiguer autour les solutions acceptables et satisfaisantes pour l’ensemble des parties prenantes.

C’est une forme de vision. C’est cette Cité d’or du Moyen-Âge qu’on va chercher à atteindre, et derrière, on va jalonner le chemin avec en plus cette capacité à avoir des quick wins, des choses qui vont aussi construire la relation, notamment sur la théorie de l’engagement, qui vont peut-être permettre d’aller de plus en plus loin sur son sujet et peut-être plus facilement.  

Et en négociation, ça revient à construire les points sur le mandat. En faisant ce travail finalement, on va délimiter les points d’idéaux, les points de rupture, les accords possibles ou pas, les différentes branches. On est en train de construire ça quand on pose le problème de ce côté-là.

Donc ça, c’est la partie théorique.

C’est la partie théorique. Après, il y a la partie pour le mettre en œuvre je dirais, la partie posture du négociateur ou du facilitateur, du médiateur. On en a déjà un peu parlé tout à l’heure, c’est accompagner les parties prenantes à formuler ce qui pose problème pour elles, ce qui fait problème pour elles, à formuler leurs demandes et leurs besoins, formuler leurs valeurs et leur loyauté, et pour ça, on a une posture un petit peu d’écoute, qu’on appelle écoute active, écoute profonde, empathique, puissante, ce que l’on veut. Ça va être de laisser la place à l’autre dans sa manière de vivre le conflit. C’est aussi un moment où on peut ventiler des émotions, où on peut aussi avoir toute la phase sur le mensonge, c’est : comment chacun se positionne en tant que personne avec ce vécu-là. L’idée ici, c’est de faire passer d’une logique « pour / contre », je suis pour l’autre ou je suis contre l’autre, une position d’antagonisme des parties prenantes, à une logique « avec et sans », avec l’autre ou sans l’autre, qui est un gradient, quelque chose qui est plus qualitatif, où chacun devient protagoniste vraiment de l’interaction.

Comment ça se matérialise ? Je trouve ça intéressant cette notion de position pour / contre, avec / sans, est-ce que tu aurais un exemple sur cette formalisation du sujet qui te vient en tête ?  

Un « pour / contre », c’est un interlocuteur qui va te dire : la solution, c’est ça, c’est ça qu’il faut faire et t’es avec moi ou t’es contre moi. Soit tu adoptes ma solution, à ce moment-là t’es pour, soit t’es contre, mais il n’y a pas de nuance finalement, c’est très manichéen, et si t’es contre moi, ça veut dire que tu ne m’aimes pas, t’es un salaud, t’as rien compris au problème, etc. Donc ça polarise de manière très forte et ça a tendance à donner du positionnisme. C’est une guerre de tranchées, une guerre de positions, et ça va exacerber les ressentis ou les émotions fortes : je suis coincé finalement, c’est à prendre ou à laisser et c’est un peu cette approche selon laquelle dans une négociation, il y a nécessairement un gagnant et un perdant.

J’entends. C’est-à-dire que là tu es totalement dépendant de l’autre à ce moment-là.  

Tu es dépendant de l’autre et c’est là que ça génère un processus de résistance en fait.

Bien sûr, plus tu imposes, plus l’autre va s’opposer.

 Exactement, et c’était l’une des formes du dialogue social qu’on a pu voir dans l’Histoire. Là, c’est quasiment une guerre identitaire, c’est-à-dire qu’il y a facilement une confusion identitaire entre le porteur du message et son message, ce qui rend très compliqué le dialogue parce que finalement c’est plutôt un processus d’allégeance ou de loyauté plus qu’autre chose. Passer à une logique « avec et sans », « sans » ce serait se dire : on est d’accord qu’on ne sera jamais d’accord et donc à ce moment-là, autant se quitter là, on ne va pas épuiser nos ressources à se taper dessus, à essayer de se mettre d’accord alors qu’on est d’accord qu’on ne le sera jamais. Là, on peut faire sans, c’est-à-dire qu’on peut rompre la relation mais on peut la rompre de manière éclairée, c’est-à-dire qu’on est d’accord pour se dire qu’on ne va pas faire affaire ensemble parce qu’on n’arrive pas à se mettre d’accord sur les conditions, etc. Donc on ne va pas faire de partenariat ensemble, on ne va pas signer de contrat ensemble. Le faire « avec », ça rejoint cette logique d’objectifs communs, de projets collectifs et d’actions conjointes, c’est-à-dire ce qu’on peut faire ensemble de sorte que chacun contribue à sa manière à sa part pour qu’ensemble on puisse faire émerger quelque chose qu’individuellement on serait incapable de faire.

Là, tu arrives vraiment sur la définition de la négo. C’est-à-dire que si je suis en négociation, c’est pour obtenir plus avec toi que si j’étais tout seul ?  

Voilà. Et là on n’est plus dans le win-win, puisqu’on est ensemble, tu as une entité, tu fais émerger un espace d’interaction possible qui, de manière très polarisée, c’est-à-dire que si on va dans le « sans », on ne va pas faire avec, tu peux être dans le contre, tu utilises des ressources pour rien, et le « avec », ça peut très bien être en faveur d’une des positions, donc tu peux avoir un « avec pour » ou « contre », pourquoi pas, mais là ça fait émerger une logique de coopération, de collaboration ensemble qui peut être une compétition, qu’importe, une interaction ensemble.

Ça peut être un mélange de coopération et de compétition, de création de valeur.  

On se challenge, mais avec cette idée qu’on va produire un commun. On va produire quelque chose qui nait de l’interaction et ce « ensemble », ce « avec », permet de laisser une position à l’autre et donc de se donner soi-même une position dans l’interaction, mais pas au détriment de l’autre, pas par rapport à l’autre mais par rapport à ce que l’on peut faire ensemble, ce que l’on peut apporter.

C’est vraiment intéressant parce que ça veut dire qu’en changeant ton cadre de compréhension, tu t’ouvres un champ des possibles large, tu n’es pas dans une volonté d’avoir raison ou tort et donc d’obtenir ou de ne pas obtenir ce que tu veux, tu es plus dans une volonté t’intégrer l’autre dans ta décision si je comprends ce que tu dis, et donc dans ce que je peux faire avec toi qui va créer de la valeur ou ce que je peux faire sans toi et qui fait que chacun sera OK là-dessus.

 Voilà, et là, on sait ce qu’on perd, de l’interaction avec l’autre. Ce qui change beaucoup, c’est que dans l’antagonisme pour / contre, on va essayer de trouver des raisons, des justifications, alors que dans le côté avec ou sans, on va être protagoniste, au sens où on va être auteur de la solution, on fait partie de la solution et là, on va plutôt aller chercher ce que l’on peut faire en commun. Ça va être plutôt inclusif, ça va être ouvert sur l’autre. On ouvre le champ des possibles, mais en sachant ce qu’on apporte, parce qu’on n’est pas en train de le challenger.

C’est une posture de coach que tu as ?

 Il y a une posture de coach, une posture de facilitateur, une posture d’intégration et c’est une posture qui finalement va recentrer sur l’action.

Ce que j’entends dans ce que tu dis sur cette posture, cet accompagnement des parties prenantes pour les aider à poser le problème, c’est que tu es dans une notion de coaching dans le sens très maïeutique, c’est-à-dire que tu pars du principe que les protagonistes, les acteurs ont les éléments sur cet existant ou ce dont ils ont besoin pour résoudre le problème et tu viens vraiment sur cette notion de processus pour les aider à accoucher ou en tout cas à mettre des mots sur les maux, mais avec peut-être une implication émotionnelle moindre ?

 Oui, c’est effectivement une posture de coaching, c’est comme ça aussi que j’allie le coaching dans cette pratique qu’il soit individuel ou collectif, et c’est une idée de maïeutique, mais pas une maïeutique de la personne a la solution en elle, c’est une maïeutique de c’est son problème. Elle est impliquée et pour qu’elle soit engagée dans la résolution de cette difficulté, de ce conflit, de ce problème, il est nécessaire qu’elle en soit l’auteur.

Qu’est-ce que tu veux dire quand tu dis que le but n’est pas de la personne vers la solution mais plus vers le problème ? C’est-à-dire que tu vas passer davantage de temps à aider la personne à trouver les mots et à définir correctement le problème pour qu’elle puisse accoucher de cette notion de solution par elle-même, plus que du temps par rapport à un problème ou une attente formulée pour se rapprocher de la solution ?

 Pourquoi ? Parce que ce que j’observe sur le terrain, c’est qu’il est assez facile pour les personnes d’imaginer une solution. Par contre, si ça pose problème, c’est qu’une interaction avec l’environnement ou avec d’autres personnes n’est pas satisfaisante pour cette personne. En fait, ça touche plus ici à son cadre de référence, à son système de référence, c’est-à-dire ses valeurs, ses principes de loyauté, ses attentes, ses aspirations, ses besoins, sa manière de concevoir et de percevoir le monde finalement. C’est la toile de fond des solutions qu’elle peut imaginer et donc le problème, c’est cette toile de fond, cet espace cognitif de la personne qui est ici. Bacon appellerait ça une expérience de la croix, la personne est mise en stress au sens où elle est testée, elle arrive peut-être au bout de son paradigme, elle se dit que l’interprétation ne suffit pas, c’est ça qu’il faut aller questionner, c’est-à-dire comment on pourrait imaginer différemment le monde. Et ça, c’est quasiment inviter à changer de paradigme. Et donc ce travail de coaching, d’accompagnement avec de la supervision, c’est aussi de dire d’ailleurs : c’est quoi vos valeurs ? C’est quoi vos choix ? Qu’est-ce que voulez vraiment obtenir ? Qu’est-ce que vous cherchez ? Et c’est un travail qu’on n’a peu l’occasion de faire dans notre quotidien et on a tendance, dans une situation stressante, d’incertitude, anxiogène, à se replier sur sa base et donc sur ses certitudes. Pour le dire un peu crument : les problèmes d’aujourd’hui sont souvent les solutions d’hier.

Tu veux dire que face à l’incertitude, le premier réflexe c’est d’aller chercher des solutions que l’on connait déjà dans notre existence, ce qui a un côté rassurant et on peut avoir des ancrages là-dessus, sur nos croyances, on a l’impression qu’on visualise cette notion de résultat positif qui est encourageant alors qu’en fait, paradoxalement, face à la complexité, ce qui pourrait nous en sortir, c’est d’embrasser cette incertitude encore plus pour aller chercher dans le référentiel de l’autre, sa manière de voir les choses et en quoi ça l’impacte ? Comment il perçoit son problème ?

C’est ça, comment nous, on pourrait imaginer autre chose. Là, on est quasiment dans des changements de paradigmes. Ça ne veut pas dire qu’on va réviser complètement le paradigme et le mettre à la poubelle, mais on va certainement l’ajuster, on va apprendre quelque chose, c’est là qu’il y a certainement des opportunités à saisir, et c’est là qu’il y a un accompagnement à faire, et dans la méthodologie, ce qui va rejoindre le troisième volet sur les genres de méthodes ou de tips que l’on peut utiliser pour faire ça.

Je vais y arriver ! Top ! Est-ce que tu as des choses très pragmatiques, très simples en termes de tips pour quelqu’un qui est face à un conflit, qui peut être managérial, commercial, avec sa conjointe, son conjoint ? On a bien compris que ce ne serait pas des astuces pour solutionner le problème, mais ça va participer in fine à ça, est-ce que tu aurais 2-3 réflexes que tu as dans ton quotidien ?

Un réflexe que j’aime bien communiquer à des managers ou des équipes qui font face à des problèmes – le problème peut être un conflit interne, trouver une innovation ou s’accommoder d’un changement qui n’est pas catastrophique – est une petite méthode qui consiste à dire : c’est quoi le problème ? Qu’est-ce qu’on cherche à résoudre ? Après, c’est quoi l’existant ? Qu’est-ce qu’on a déjà de documenté sur la situation, qu’est-ce qu’on a déjà en stock ?

Une notion d’historique ?

Une notion d’historique, une notion de benchmark, aller voir ce que font les autres, comment les autres ont résolu la situation. C’est important parce que ça évite de réinventer la roue carrée et c’est important aussi parce qu’on s’aperçoit que les parties prenantes ont généralement beaucoup de références en stock. Donc peut-être que la solution existe déjà. Troisième étape, après avoir fait le catalogue de l’existant, c’est : qu’est-ce qu’il nous manque ? Quels sont nos besoins, que l’on n’a pas trouvés dans l’existant, et qui nous permettraient peut-être de résoudre de manière plus satisfaisante le problème que l’on a posé.

 

Donc « qu’est-ce qu’il nous manque », c’est le différenciel entre l’existant et la solution qu’on souhaiterait avoir ?

Qu’on souhaiterait et c’est là où on va retrouver l’objectif ou l’état final désiré et se dire : oui, mais moi j’aimerais bien avoir ça, et là je m’aperçois que ce qu’on a en stock, en références, ça ne répond que de manière imparfaite parce que… Cette troisième phase permet de clarifier encore plus la demande et les attentes, et là on va retoucher aux valeurs : voilà, ce qui important pour nous d’avoir ici. C’est une reformulation du problème mais par rapport à notre situation à nous. Formuler l’existant et le besoin, en général ça prend trois quarts du processus.

Sachant qu’on peut avoir la perception qu’on a besoin de ça et en fait, on n’en a pas forcément besoin.

Et c’est ça aussi qu’on va pouvoir évaluer par rapport à l’existant : est-ce qu’il y a quelque chose que l’on imaginait, est-ce qu’il faut absolument un truc tout neuf et finalement on s’aperçoit que quelque chose qui existait déjà peut être suffisant. La phase d’après c’est : qu’est-ce qu’il est possible de faire ? Et c’est là qu’on fait la phase de brainstorm, c’est-à-dire qu’on imagine tout ce qu’on veut et on ne se pose pas la question est-ce que c’est réalisable ou pas. Tu fais ta liste au Père Noël. Et ça, c’est important parce que bien souvent, quand j’accompagne les équipes, elles commencent par le brainstorm en fait.

Mais elles n’ont pas posé le problème.  

Elles n’ont pas posé le problème ou elles n’ont pas fait le catalogue de l’existant, donc parfois on s’aperçoit que l’existant suffit à résoudre le problème et on s’arrête là. Donc il y a cette phase de brainstorm, l’examen du possible et après on va pondérer le possible : qu’est-ce qu’il est nécessaire de faire ? Parmi les possibles que l’on a imaginés, par quoi doit-on commencer ? Est-ce qu’il y a une chaine causale, qu’est-ce qui nous permet d’avancer ? Et c’est là qu’après, on va faire un plan d’actions. Pour l’accompagner en entreprise ou en équipe, au début, ce processus, parait un peu scolaire, mais très vite, j’ai eu des équipes de direction qui en 5 minutes on fait le truc et ont débloqué un problème qui était là depuis 6 mois en fait.

Tu aides à travers une méthodologie à poser le problème. C’est ce qu’on disait d’une certaine manière, quand le problème est bien compris, qu’il est clair pour tout le monde, c’est beaucoup plus simple d’y apporter des réponses que quand il est opaque, que c’est une boite noire.

 Je me souviens de séquences de négociation en entreprise pendant lesquelles on a passé 2 jours avec les parties prenantes à définir ce qui pose problème. Là, peut-être un deuxième tip qui est d’écrire le problème sous forme d’une question ouverte.

C’est-à-dire ?

Une question fermée, c’est une question à laquelle on répond par oui ou par non pour un fait. Un question ouverte, il n’y a pas une seule réponse attendue, et le petit tip qu’on utilise c’est qu’on dit que c’est une question de « q ». Il faut toujours un mot qui commence par un « q » : qui, que, quoi, ça aide à ouvrir, plutôt que de dire : est-ce qu’il faut faire… L’écrire, travailler ensemble pendant tout le processus d’émergence du problème, de problématisation et arriver à une formulation écrite du problème sous forme de question qui est acceptable par toutes les parties, c’est-à-dire que toutes les parties se disent : oui, ça, c’est le problème qu’on doit traiter. Peut-être que ce n’est pas le seul, peut-être qu’on peut faire émerger plusieurs problèmes.

Si tu es face à un manque de productivité dans une équipe ou à des conflits, ta question ou ta définition du problème c’est : comment maintenir notre productivité supérieure à X% sur cette année par exemple ?

 Ça peut être ça, ça peut être aussi : qu’est-ce qui fait qu’on n’arrive pas à avoir X% de productivité ? Qui est responsable de la productivité ?

Tu peux aller sur ce type de question dans ta définition du problème ? C’est intéressant.

 Tu vois, parfois, tout le monde est d’accord pour faire X%, qui évalue le X% ? On s’aperçoit que dans une boite, personne ne sait finalement qui en est garante. Ça peut être un problème dans le sens où on ne sait pas mettre un garde-fou avant. On ne sait pas poser des limites donc on ne sait pas ajuster le tir, on sait juste quand on s’est planté en fait.

D’accord, c’est intéressant parce que dans ta définition du problème, tu ne sais pas ce que tu ne sais pas et tu peux en découvrir au fur et à mesure ?

 Tu peux en découvrir et bien souvent la formulation à laquelle on arrive parait très éloignée de la demande initiale. Si on prend l’exemple des États Européens sur le déficit acceptable ou pas, à un moment tu peux aussi te demander : comment on s’est mis d’accord sur le 3% ? Tu peux aller questionner les indicateurs, questionner leur pertinence et il y a des entreprises que j’ai accompagnées qui ont changé leurs indicateurs : au lieu de regarder le taux de productivité horaire, on va regarder la qualité de réponse aux clients dès le premier appel.

Passionnant ! Quand on est face à un problème, à un conflit, ce que je retiens de notre interaction Benjamin, c’est d’éviter d’aller sur des choses que l’on sait déjà et de proposer des solutions parce qu’on prend le risque de passer à côté, de ne pas répondre totalement ni à notre besoin ni au besoin de l’autre et donc d’avoir des situations de guerre de positions où on va être dans des logiques très distributives de la négociation. Ce que l’un va gagner, l’autre va le perdre, tu parlais d’allégeance, vraiment des gagnants et des perdants. Et de plus intégrer l’autre dans cette décision, déjà dans un premier temps pour définir le problème pour se dire qu’on est d’accord sur le premier accord possible, sur la définition du problème qui n’est pas si évident que ça, et plus on va être en capacité de bien le définir, plus derrière on pourra mettre des actions qu’on va implémenter avec des quick wins ou des jalons qui vont nous permettre d’aller chercher cet idéal, cet état final partagé, cette vision que l’on va définir avec l’autre, c’est ça ?

 C’est ça, tout à fait. Et je me souviens vraiment d’anecdotes, où en passant des journées à définir ensemble le problème, une fois que le problème est écrit au tableau, les gens disent : ah ouais, en fait, c’est vraiment ça. Mais maintenant, on sait ce qu’on doit faire, on a déjà notre solution en fait. Et ne pas oublier que les parties prenantes sont les plus expertes par rapport à leurs problèmes, elles connaissent ce qu’elles peuvent faire etc., donc je ne me fais pas de soucis pour elles pour trouver une solution. La question, c’est quelle est la solution pertinente dans leur interaction et ça, parfois, c’est plus difficile à faire.

C’est intéressant, ça veut dire que ton problème, c’est tout sauf une évidence, mais qu’à partir du moment où tu es en capacité de le définir, ça devient cette évidence ?

Et ça devient une évidence et le problème se dissout, Hagelstein dirait que le problème finalement s’est dissout parce que ça devient une liste de questions auxquelles je sais répondre.

Passionnant ! Pour finir ce podcast Benjamin, j’ai l’habitude de terminer toujours sur la même question : si le Benjamin d’aujourd’hui devait rencontrer le Benjamin d’il y a 20 ans, quel est le conseil qu’il lui donnerait ?

Je lui dirais : tu pourrais peut-être gagner du temps en restant sur ton intérêt pour le problème, plutôt que d’essayer à tout prix de trouver une solution.

Génial ! Plus on investit du temps à définir le problème et plus, paradoxalement, on va gagner du temps. Donc dépêchons-nous de prendre notre temps peut-être.

Exactement.

Super ! Benjamin, un très grand merci pour la qualité de l’échange, c’était passionnant ! Je mets ton lien pour les personnes qui veulent te retrouver sur LinkedIn ou sur ton site professionnel en bas du podcast ou de la vidéo.  

Merci à toi pour cet échange, c’est toujours passionnant de se nourrir mutuellement de réflexions.

C’est plus que partagé ! Merci à tous et on se dit à dans deux semaines pour un nouvel épisode de Pourparler, le podcast de la négociation ! Merci !

 

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